« Koulich est le premier astre dans nos lettres »
Ivan Franko
Panteleïmone Koulich a réussi à se faire connaître presque dans tous les domaines des lettres ukrainiennes. Il est poète et prosateur, historien et etnographe, traducteur et linguiste, essayiste et scientifique. Panteleïmone Koulich cumulait le travail culturel avec l’engagement civique et l’activité publique.
Panteleïmone Oleksandrovytch Koulich est né le 7 août 1819 dans la ville de Voronij (actuellement le district de Chostka, région de Soumy). Son père était un propriétaire de terres assez riche qui prétendait appartenir à une famille de nobles (même s’il n’a pas eu de papiers officiels confirmant ses prétentions), sa mère était une fille d’un sotnyk (chef d'une centaine de cosaques). P. Koulich fait ses études secondaires au collège de Novgorod-Siverski. Plus tard, il fréquente les cours à l’Université de Kyïv comme un auditeur libre (1837-1839), sans avoir suivi un cursus complet. Ensuite il enseigne d’abord à Loutsk (1842), puis à Kyïv (1843-1845). C’est à Kyïv qu’il travaille comme archéologue sous la direction de Mykhaïlo Maksymovytch. C’est également là qu’il est influencé par les idées religieuses et philosophiques de Petro Avsen’ev. Dans cette ville P. Koulich rencontre Mykola Hulak, Mykola Kostomarov et Vassyl Bilozers’kyi, les intellectuels ukrainiens qui fondent un cercle unique selon le niveau de son érudition et son potentiel créateur. Taras Chevtchenko les rejoint sur le tard.
Ce groupe de jeunes intellectuels kyïviens a servi de base pour la formation lors des années 1845-1846 de la célèbre confrérie Cyrille et Méthode. Avec ses amis, P. Koulich blâme l’esclavagisme et le despotisme de l’Empire Russe et proclame les idéaux de liberté, des droits de l’homme, de la fraternité des peuples slaves et de leur future fédération, fondée sur des principes démocratiques. P. Koulich s’intéresse très sérieusement à la philosophie et à la culture occidentales, ainsi qu’à l’œuvre des poètes romantiques de l’Europe Occidentale et des littératures polonaise et russe. Il connaît bien l’idéalisme classique allemand, surtout grâce aux travaux de Schelling et Hegel, pourtant il admire le plus les travaux de Spinoza.
Sous l’influence de M. Maksymovytch (qu’il aidait auparavant dans son travail de recherche) Panteleïmone Oleksandrovytch se passionne pour l’histoire et l’ethnographie ukrainiennes. En qualité de délégué de la commission archéologique de Kyïv, il voyage beaucoup à travers l’Ukraine de la rive droite du Dnipro ; il étudie les documents historiques et les monuments des époques anciennes ; et il fait connaissance avec le folklore et la vie quotidienne du peuple ukrainien. A cette époque, il rédige ses ballades, ainsi que le récit Mykhaylo Tcharnychenko ou La Petite-Russie quatre-vingt ans auparavant et l’épopée L’Ukraine publiés en 1843 à Kyïv.
En 1845, P. Koulich, qui à l’époque jouit d’une assez importante célébrité grâce à son activité littéraire et à sa large érudition philologique, est invité enseigner le russe aux étudiants étrangers à l’Université de Saint-Pétersbourg. A la « capitale du Nord », il se marie avec Oleksandra Bilozers’ka, la sœur de son ami kyïvien, Vassyl Bilozers’kyi. Plus tard, Oleksandra Biloserska devient une écrivaine bien connue en Ukraine qui publie sous le pseudonyme d’Hanna Barvinok.
A son arrivée à Saint-Pétersbourg, P. Koulich commence à s’intéresser à l’histoire des Cosaques zaporogues. Il écrit alors Les Récits sur le peuple ukrainien (1846). Comme il étudie les différentes langues slaves, suite à la recommandation du professeur des universités Piotr Pletniov (également directeur de la revue « Le Contemporain»), P. Koulich obtient une mission en Pologne qui a pour but l’étude des langues, du mode de vie, de l’histoire et de la culture des Slaves de l’Ouest. Seulement quelques mois après son arrivée à Varsovie, en 1847, il est arrêté, accusé d’avoir participé aux activités de la confrérie Cyrille et Méthode, et il est renvoyé à Saint-Pétersbourg pour instruction de son affaire. Le verdict du tribunal russe prévoit quatre mois d’emprisonnement dans la forteresse de Petropavlovsk et la déportation dans la région du fleuve Viatka (au nord de l’Oudmourtie, en Russie). Grâce à l’assistance de ses amis, cette sentence est remplacée par la déportation à Toula, une région russe moins éloignée (il s’agit d’un séjour sous surveillance de la police) et par l’interdiction de publier. En 1850, il revient à Saint-Pétersbourg et se consacre entièrement à son travail littéraire et scientifique.
Dans les années 1856-1857, P. Koulich publie Notes sur
A la fin des années 1850, les anciens membres de la confrérie Cyrille et Méthode (M. Kostomarov, V. Bilozers’kyi, T. Chevtchenko, etc.) se réunissent à Saint-Pétersbourg. Lors de leurs rassemblements, ils discutent entre autres les questions concernant l’ouverture des écoles primaires ukrainiennes. C’est pour ces écoles que Panteleïmone Koulich publie sa fameuse Grammaire (1857). A la même époque, il crée une maison d’éditions où il publie les écrivains ukrainiens. De même, il commence l’édition de l’almanach « Khata » (La maison). Avec V. Bilozers’kyi, M. Kostomarov et T. Chevtchenko, il fonde une association des Ukrainiens à Saint-Pétersbourg « Hromada » (La Communauté). La plupart des membres de ce groupe ont des positions libérales et démocratiques. Ils créent aussi la revue « Osnova » (Le Fondement) qui paraît en 1861-1862. Dans cette revue, P. Koulich publie certaines de ses œuvres littéraires et historiques, entre autres un chapitre de L’Histoire de l’Ukraine à partir des temps les plus anciens, L’Epoque de Khmelnyts’kyi, L’Epoque de Vyhovs’kyi. En 1862, paraît son recueil poétique Les veillées. Les doumas et les poèmes. A partir des années 1850, P. Koulich se fait auteur d’articles critiques sur la littérature ukrainienne, de préfaces et de postfaces dans des œuvres d’écrivains ukrainiens. On peut dire qu’il est le premier critique littéraire ukrainien professionnel.
Dans la dernière période de sa vie, l’écrivain se refugie dans le hameau ukrainien Matronivka. Cet exil volontaire est partiellement dû à l’oukase d’Emsk, interdisant la publication de tout texte en ukrainien. P. Koulich rédige des recueils de poèmes originaux, traduit des œuvres de Shakespeare, Byron, Goethe, Schiller et Heine. Son recueil, écrit en russe, La Philosophie de hameau et la poésie éloignée du monde, est néanmoins interdit par la censure russe. Panteleïmone Koulich meurt le 14 février 1897 dans son hameau, où il est enterré. En 2002, on y crée un musée mémorial historique où sont rassemblés des documents liés à la vie et à l’œuvre de ce grand homme de lettres ukrainien.
La portée de la personnalité et de l’œuvre de Panteleïmone Koulich se trouve essentiellement dans la protection et la promotion de la littérature ukrainienne, dans la lutte contre l’attitude chauviniste et nihiliste envers sa littérature « maternelle », dans la critique du primitivisme dans l’écriture qui compromettait la littérature nationale et abaissait le goût des lecteurs. Malgré sa théorie contradictoire de la « véridicité ethnographique » qui préconisait l’écriture patriarcale, didactique et conservative, P. Koulich reste un homme engagé dans la sauvegarde de l’identité nationale ukrainienne, de ses acquis spirituels, de ses traditions et de sa culture.
Les personnalités de lettres ukrainiennes sur Panteleïmone Koulich :
Mykola Zerov : Panteleïmone Koulich est « un pionnier de la culture en Ukraine ».
Mykola Khvyliovyi : « Quant au révolutionnaire-citoyen idéal, il n’est pas possible d’en trouver un plus grand que Pan’ko Koulich. Il paraît que lui tout seul, il brille comme une tache claire du fond du passé sombre ukrainien. Il n’y a que lui, qui peut être considéré comme un vrai Européen, comme un homme qui a approché au plus près le type de l’intellectuel occidental ».
Citations de Panteleïmone Koulich :
La Parole à la tombe de Chevtchenko :
« Tu disais à ta muse innocente :
Nous n’avons pas triché avec toi,
nous marchions juste en avant,
sans porter un grain de mensonge en nous…
Ton testament est grand et sacré !
Sois sûr, Taras, que nous l’accomplirons
et ne quitterons pas la route que tu as ouverte.
Si nous perdions la force de suivre ton chemin,
si nous ne pouvions plus, comme toi,
dire sans crainte la sainte vérité,
il vaudrait mieux nous taire,
et alors la vérité pure et immaculée
surgirait seulement de ton œuvre éminente,
jusqu’à la fin du monde».
Quelques faits curieux de la vie de Panteleymone Koulich:
· P. Koulich écrivait sous de nombreux pseudonymes – Pan’ko Kaziouka, Pavlo Ratatay, Khoutoryanyn, etc.
· P. Koulich a élaboré un système de l’alphabet phonétique et de l’orthographe ukrainien, nommé « koulichivka ».
· P. Koulich traduisait la Bible en ukrainien.
· P. Koulich est le premier biographe de Gogol. Il est l’auteur de six ouvrages biographiques sur Gogol, ainsi que d’articles de presse dont le premier, paru en 1852, c’est-à-dire l’année de la mort de Gogol, portait le titre Quelques mots sur Gogol. Son ouvrage Nikolaï Vassiliévitch Gogol. Essai d’une biographie, publié à Saint-Pétersbourg en 1854, est sa troisième tentative d’une biographie totale de Gogol. Cette monographie a été rééditée en Russie pour la première fois en 2003, c'est-à-dire 150 ans après sa première parution.
· P. Koulich est à l’origine de la création du pseudonyme littéraire de Marie Vilins’ka-Markovytch – Marko Vovtchok. Il l’aide également à publier Les Récits populaires. Cette femme a été l’objet d’une de ses passions amoureuses.
Poèmes de P. Koulich :
L'Ukraine
Te souviens-tu, pays, de cette terre superbe
Où brillent les ruisseaux, roulant des flots d'argent,
Où comme du carmin rougissent les cerises,
Où les ruches embaument d'un miel odorant,
Où les arbouses en fleur enroulent leurs spirales
Et où les pommiers plient, courbés sous leur moisson ?
C'est là, là que, chaque jour, mon âme s'envole ;
Je connais là un nid chéri et pacifique,
Je retrouve l'Ukraine aux fleurs innombrables
Et de nouveau fleurit et rajeunit mon coeur.
Oh ! vivre là et louer le Seigneur !
Mais non... Inutile même d'en parler.
Malheureux pays ! Ses coins restés sauvages
Supplient les hommes : Pitié, oh ! ne nous gâtez point,
Allez-vous-en donc dans vos grandes villes,
Dressez-y des maisons qui montent jusqu'au ciel,
Mais laissez-nous notre solitude triste
Qui réjouit l'oeil de l'homme au coeur droit. "
Pays aimé, pays de liberté et de malheur !...
Je lui souris et, souriant, je pleure.
J'oeuvre, je travaille sur un champ étranger
Et suis heureux parfois de ne plus le revoir :
Dans mes mains notre kobtza résonne, sinistre,
Pour enterrer les derniers rêves, les joies dernières.
Car elle est une terre affreuse de mensonge,
Où un semblant d'honneur arrêta le voisin
Et lui, il l'acheta, exploitant son ivresse,
Et à présent il la rudoie en récompense...
Paradis en paroles, en fait enfer cruel,
Ah ! si je pouvais oublier qui je suis... qui tu es !
Traduit par Antoine Martel
L'Enfant do...
Je vais et j'erre par la ville :
Elle est bien grande, elle est bien grande,
Je voudrais bien ouvrir mon cœur :
Il n'est personne, il n'est personne.
Il est fleuri, comme paradis,
Secret au monde, secret au monde ;
Ni aux amis, ni aux amants,
Il n'a de foi, il n'a de foi.
Oh ! petit cœur scellé,
Eden caché, Eden caché !
Personne ne te tourmentera,
Car on t'ignore, car on t'ignore.
Fleuris pour toi et bats pour toi,
Pour toi tout seul, pour toi tout seul.
Trouve ta paix en une bien douce
Somnolence, somnolence,
Et pour que les hommes méchants
Ne t'effraient point, ne t'effraient point,
Endors-toi d'un sommeil de toujours...
L'enfant do, l'enfant do...
Traduit par Antoine Martel
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