Nouvelliste remarquable, personnalité éminente de la vie culturelle en Ukraine des années 1920, représentant de la génération des écrivains ukrainiens nommée la « Renaissance fusillée », Hryhoriy Kossynka a été fusillé en 1934 dans les caves du NKVD situées à deux pas de Maydane, la Place de l’Indépendance actuellement
“Quand le dernier aube s'éteindra dans les siècles, ma pensée et mes souffrances s'éteindront…”. Ce sont les premiers mots de la nouvelles de Hryhoriy Kossynka Faust relatant la vie d’un paysan de Podolie, Prokop Konuchyna, qui a connu les trois joies de la révolution de 1917 en Ukraine : une renaissance brusque, la lutte et la victoire sur le premier envahisseur et une infinie et douloureuse joie du bonheur de lancer dans la face de la mort et dans celle du juge d’instruction Odnorohyi : « Sachez que Prokop Konuchyna ne sera jamais un traître ! Je vais périr, comme des centaines et des milliers de paysans, mais je ne vendrai jamais ma sœur ! Je ne vendrai personne ! ». Ces mots montrent le vrai Kossynka, son caractère et son destin.
Hryhoriy Kossynka est un vrai révolutionnaire, chantre de la paysannerie ukrainienne la plus prolétarisée qui fournissait l’énergie sociale de la révolution et qui aspirait à travers le renouveau de l’Etat ukrainien de fixer son indépendance et son progrès social, économique et culturel. Le 13-15 décembre 1934, lors de son procès dans le pays soviétique, il est accusé d’être venu de l’étranger pour exécuter des actes terroristes contre la République ukrainienne avec des revolvers et les grenades. Lui, qui n’a jamais traversé les frontières de sa patrie… Ses œuvres sont interdits, son nom est effacé de la littérature ukrainienne pour presque 30 ans.
La biographie de Hryhoriy Kossynka (de son vrai nom – Strilets) représente une vie typique d’un paysan pauvre. Il est né le 17 novembre 1899 dans le village de Chtcherbanivtsi (situé dans la partie centrale de l’Ukraine). Sa famille possède une petite maison avec un potager et une petite partie du champ. Ils sont cinq enfants dans la famille. Le garçon est obligé de gagner son pain en travaillant dans le champ et dans l’usine de sucre, car il est l’enfant le plus âgé. Il n’a donc pas de possibilité d’aller à l'école et il apprend à lire et à écrire tout seul. Hryhoriy quitte son village à l’âge de quinze ans et il part pour la capitale. Comme qui n'a-t-il pas travaillé, il est même cireur de chaussures. En même temps, il fréquente les cours dans un gymnase pour pouvoir passer le certificat d'études de six classes.
Ses études sont stoppées par la Première Guerre mondiale, lors de laquelle il combat sur le front allemand. La Révolution qui emballe Hryhoriy entièrement ne lui rajoute pas d’occasions de continuer sa formation. Pourtant il n’arrête jamais de s'instruire. On peut trouver parmi ses livres préférés les œuvres de Charles Baudelaire, celles de John Byron et de Heinrich Heine, l’Ecclésiaste, la première partie de Faust de Goethe. De plus, H. Kossynka connait bien la littérature ukrainienne de son temps: Mykhaïlo Kotsiubynskyi, Stèpan Vassyltchenko et Vassyl Stèfanyk. Il a bien apprivoisé la qualité de la nouvelle impressionniste de ces derniers pour y faire sa propre contribution et ainsi marquer le passage de la prose ukrainienne à une nouvelle marche.
Dans ses nouvelles H. Kossynka chante la guerre révolutionnaire paysanne de 1917-1921. Cette guerre qui est dirigée d’abord contre les envahisseurs extérieurs (les Allemands, les Russes blancs, les membres de l’Alliance, les Russes rouges, etc.) brûle ensuite avec son feu les paysans par la lutte intérieure, l’anarchie, la déchéance causée par la démagogie moscovite et bolchévique. Il décrit ces événements en détails notamment dans son recueil de nouvelles Dans les seigles (1926). Il n’y idéalise aucun de ses personnages en proposant une galerie de différents portraits de cette guerre. C’est là qu’on apprend devant quelle force recule Moscou en annonçant l’introduction de NEP (Nouvelle politique économique) et la nouvelle politique nationale de Lénine.
H. Kossynka n’est pas un impressionniste superficiel, comme les critiques littéraires marxistes le nomment souvent. En développant le dramatisme de récit de Vassyl Stèfanyk, il va jusqu’au fond de l’âme de l’Homme et montre les traits de caractère des personnages les plus frappants et essentiels, s’agit-il d’un commissaire russe violent, d’un dénonciateur petit-russe ou d’un bandit ordinaire. La meilleure nouvelle de H. Kossynka est La Politique (publiée dans la revue “Vsesvit”, à Kharkiv, en 1926) où il décrit un paysan communiste qui est dévoué d’une manière pathologique au parti et qui se trouve en contradiction avec ses sentiments. Cette petite étude psychologique qui va vers le noyau du problème et du phénomène est écrite avec un style discipliné qui renferme une énergie interne, comme un ressort puissant serré que l’auteur desserre à la fin de l’œuvre et qui explose. Ce n’est pas l’impressionnisme, ce n’est pas l’impressionnisme dramatique de Kossynka. C’est un nouveau style qu’il n’a pas eu le temps de développer…
Hryhoriy Kossynka est souvent considéré comme un des meilleurs prosateurs des années vingt, comme l’étaient Mykola Khvylovyi et Valerian Pidmohylnyi. Son style individuel emprunte chez Khvylovyi certains procédés stylistiques – l’ornementalisme, la combinaison contrastante d’un lyrisme fin et d’une métaphore brutale, ainsi que les autres figures qui soulignent la nature baroque de l’Homme des années vingt. Mais à la différence de Mykola Khvylovyi, Kossynka n’organise pas son style d’après les principes de la musique. Il est d'abord un peintre et son verbe est coloré et odorant comme les steppes ukrainiennes infinies qu’il décrit dans ses œuvres.
On dit souvent que sa va vie est dure, mais il n’a point air d’un martyr. On voit quelque chose de gai, de fort, de réfractaire dans ses yeux clairs. Plus tard, ses œuvres subissent la censure de plus en plus fréquente. N’ayant pas de possibilité de gagner sa vie avec la littérature, il travaille au département des scenarios cinématographiques de Kyïv. Des fois, il vit sans salaire. En 1929-1934, l’époque de la terreur de masse, de la famine artificielle et de la déportation de la population ukrainienne, il perd son énergie et sa détermination. H. Kossynka prononce son dernier discours en 1934, dans la Maison de Littérature de Kharkiv. Les communistes bolchéviques y ont réagi de leurs premiers rangs avec des menaces, et le fond de la salle lui a applaudi. H. Kossynka parle dans sa dernière conférence des conditions impossibles d’écrire et de créer en Ukraine.
Peu avant sa mort, il écrit à sa femme de la prison : “Pardonne-moi, j’ai t’apporté tant de chagrin pour notre vie commune qui a été si courte. Pardonne-moi, ma chère femme, et … adieu! Ne pleure pas, l'affliction ne guérit pas le mal. Je te souhaite de la santé. Il ne faut pas me demander pardon! Envoie-moi des colis, si tu as la possibilité, mais pas souvent. Il paraît que c’est tout. Je suis fort et en forme ». Il a été fusillé le 18 décembre 1934, ainsi que ses 27 camarades, les représentants de l’élite intellectuelle ukrainienne. Fusillé physiquement, il est resté fort et en forme dans ses œuvres.
H. Kossynka publie ses premiers essais en 1919 dans le journal « Borot’ba » (La Lutte). En 1920, il devient étudiant à l’Université de Kyïv (à l’époque, l’Institut de l’Education populaire). Le manque d’argent l’empêche de terminer ses études. Ses années estudiantines sont fructueuses en activités littéraires. A l’époque, il fait parti d’un cercle littéraire « Grappe » qui fait paraître une revue portant le même nom. C’est là que H. Kossynka publie ses nouvelles. En 1922, son premier recueil de nouvelle voit le jour (Les Dieux d'or). Deux ans plus tard, son deuxième recueil est interdit à la publication (Nouvelles du déserteur). En 1924-1926, l’écrivain devient membre du groupe littéraire « Lanka » (Chaînon) qui en 1926 prend le nom MARS (MAysternia Revolutsiynoho Slova – Atelier de la Parole Révolutionnaire). Après la destruction des groupes littéraires, il travaille tout seul. Les publications des nouvelles de Kossynka attirent tout de suite l’attention des critiques littéraires et des chercheurs en littérature. Lors de son vivant, il publie presque 20 recueils de nouvelles et de récits. Malheureusement, certaines nouvelles sont perdues pour toujours, y compris « Pereveslo », la nouvelle écrite la veille de l’arrestation… Le nom de l’écrivain est réabilité en 1957. Le « retour » des œuvres de H. Kossynka est initié dans les années 1960 par son collègue, le poète et le traducteur Maksym Ryls’kyi.
D'après : Lavrinenko Y., 1959, La Renaissance fusillée, Kyïv, Smoloskyp, 2007 (en ukrainien).
Œuvres de Hryhoriy Kossynka :
“Na zolotyh bogiv” (Les Dieux d'or, 1922)
“Zakvitchanyi son” (Un rêve décoré de fleurs, 1923)
“Maty” (La Mère, 1925)
“Za voritmy” (De l'autre côté de la porte, 1925)
“V jytah” (Dans les seigles, 1926)
“Polityka” (La Politique, 1927)
“Favst” (Faust, 1928)
“Vybranni opovidannya” (Nouvelles Choisies, 1928, 1929)
“Tsyrkul” (Le Compas, 1930)
“Zmovyny” (L’Entente, 1933)
“Sertse” (Le Coeur, 1933)
“Harmoniya” (L’Harmonie, 1933)
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