Sofiya Roussova (1856-1940)


Critique littéraire et pédagogue, patriote ukrainienne et ministre déléguée, elle est une des premières Ukrainiennes qui luttaient pour la place des femmes dans la société

Sofiya Roussova est issue d’une famille aristocrate, arrivée en Ukraine de la Sibérie. Sofiya Lindfors est née le 18 février 1856, dans le village d’Olechnia, situé dans la région de Tchernihiv. Son père, Fedir Lindfors, était d’origine suède et sa mère, Hanna Gervès (ou Gervais), était d’origine française. Le père, homme engagé, lutte toute sa vie contre le servage. Il inculque à ses enfants les valeurs humanistes. Aussi, les rapports quotidiens avec les enfants de paysans donnent-ils à la jeune Sofiya le désir d’être utile au peuple ukrainien. 
Quand elle a dix ans, sa mère meurt, et son père est obligé de déménager à Kyïv. Là, elle s’inscrit au gymnasium, où elle fait connaissance avec les jeunes  Staryts’kyi. Désormais, elle communique aussi avec l’auteur de l’hymne national ukrainien, Pavlo Tchoubyns’kyi, l’écrivain et le musicologue, Mykhaïlo Drahomanov, l’anthropologue, l’ethnographe et l’archéologue, Fedir Vovk, la famille Kossatch et avec d’autres personnalités de l’élite intellectuelle ukrainienne.
Après la mort de son père, en 1871, Sofia Lindfors abandonne ses études au conservatoire de Saint-Pétersbourg et, ainsi, renonce à son rêve de se consacrer à la musique. En contrepartie, elle s’adonne à l’activité pédagogique. Ensemble avec sa sœur Marie, elle fonde la première école maternelle ukrainienne à Kyïv, organise des cours extrascolaires pour les adultes. Grâce aux Staryts’kyi, les sœurs Lindfors font connaissance à M. Lyssenko qui rassemble dans sa maison les représentants de la jeunesse kyïvienne engagée, ainsi que de nombreux scientifiques, artistes et écrivains ukrainiens. Les jeunes intellectuels vont à la rencontre du peuple, ils collectent ses trésors culturels et folkloriques, en enregistrant les chants, les contes, les légendes, etc. Sofiya Lindfors est passionnée par ce mouvement. Elle aussi, elle se rend à son village natal d’Olechnia pour enregistrer des koliadkas et des chtchedrivkas, chansons rituelles slaves chantées la veille du Nouvel An. Lors de cette activité, elle rencontre Oleksandr Roussov, ethnographe et folkloriste ukrainien. Elle le suit à Saint-Pétersbourg, où,  en 1874, Sofiya devient sa femme.
En 1876, avec son mari, elle prépare dans la capitale russe la publication du célèbre recueil de Taras Chevtchenko « Kobzar ». L’objectif du couple est de rassembler tous les textes et les imprimer en deux volumes sans coupures de censure à l’étranger (à Prague). Ainsi, les vers du poète-prophète ukrainien ont été sauvés. En effet, les Roussov changent souvent de domiciles : ils habitent à tour de rôle à Tchernihiv, à Kyïv, à Odessa, à Kherson, à Kharkiv etc. Sofiya travaille dans les villages ukrainiens comme institutrice et sage femme. En 1881, accusée de la collaboration aux mouvements révolutionnaires, Sofiya Roussova, mère de trois enfants, est emprisonnée. En 1902, expulsés de l’Ukraine, les Roussov s’installent à Saint-Pétersbourg. En tant qu’expert, Sofiya Roussova fait partie de la commission de l’Académie russe des sciences en questions de la légitimité de la langue ukrainienne, sous la direction d’O. Chakhmatov.
En 1908, les Roussov reviennent à Kyïv, car Oleksandr Roussov reçoit l’invitation du directeur de l’Institut de Commerce qui lui propose d’y enseigner la statistique. A partir de 1909, Sofiya enseigne la pédagogie à l’Institut Frebel à Kyïv et le français à l’Institut de Commerce. En 1910-1914, Sofiya Roussova, ensemble avec Hryhoriy Cherstiuk et Spyrydon Tcherkasenko, éditent la revue pédagogique « Svitlo » (« La lumière »). Elle participe aussi au congrès international des journalistes à Bruxelles où elle fait son rapport sur l’état de la presse ukrainienne.
En 1917, Sofiya Roussova devient membre du Conseil central, gouvernement de l’Ukraine indépendante, où elle dirige deux départements - de l’éducation préscolaire et extrascolaire. Elle est également à la tête de l’Association de professeurs ukrainiens. En 1920, avec tout le ministère, elle se retire à Kamianets’-Podilskyï, où elle enseigne la pédagogie à l’Université nationale. De 1920 à 1938, elle est chef du Conseil ukrainien national de femmes.
En 1922, quand le pouvoir bolchévique s’installe définitivement en Ukraine, elle part en émigration, résidant à tour de rôle en Galicie, en Autriche, à Tchécoslovaquie. A partir de 1923, elle s’installe à Prague, où elle enseigne la pédagogie à l’Institut ukrainien M. Drahomanov, instauré par ses soins.
En effet, Sofiya Roussova crée ses propres méthodes de l’enseignement, reconnues par les chaires universitaires de Varsovie, de  Prague et de Sofia. Voici la liste non-exhaustive de ses ouvrages pédagogiques : « La nationalisation de l’éducation préscolaire » (1912), « L’éducation préscolaire » (1918), « La théorie et pratique de l’éducation préscolaire » (1924) , « La didactique » (1925), « Les courants contemporains de la pédagogie nouvelle » (1932), « Le rôle de la femme dans l’éducation préscolaire » (1938) ; de ses manuels : « L’alphabet ukrainien. D’après le manuel d’O. Potebnia et sous la rédaction de S. Roussova » (1906), « Les principes de la géographie » (1911), « Manuel de français », etc.
L’héritage littéraire et critique de Sofiya Roussova est assez considérable. Ses premiers écrits sont : « Hryhoriy Savytch Skovoroda, le voyageur. Essai biographique » (1894), « La littérature provinciale contemporaine » (1902). Ses études sur l’œuvre de N. Gogol et sur celui de T. Chevtchenko ont le poids critique encore aujourd’hui. Elle y combine le discours de la recherche scientifique et le discours littéraire. Dans l’ouvrage sur Nikolaï Gogol, elle décrit l’écrivain comme une personne très compliquée, abritant dans son âme le bien et le mal, le petit et le grand. Cette femme chercheur a compris avant tous que cette double âme était due à l’éloignement de Mykola Hohol du terrain national qui lui avait été cher, de l’environnement national qui nourrissait l’artiste par ses réalités.
Les études littéraires de Sofiya Roussova provoquent un grand d’intérêt parmi les lecteurs. L’auteure étudie en profondeur le fond historique et social, l’espace où la vie littéraire et artistique se crée. Dans le processus littéraire de XIXe siècle, Sofiya Roussova défend l’indépendance de la littérature ukrainienne, dévoile les attaques chauvines contre elle. Les œuvres à ce sujet sont : « La littérature ukrainienne de XIXe siècle. La première période de 1798 à 1862 » (1910), « La littérature ukrainienne de 1862 à 1900 », « Taras Chevtchenko comme poète national ukrainien. Sa vie et ses oeuvres » (1911), « M.P. Drahomanov. Sa vie et ses oeuvres » (1918), etc. Un des ouvrages les plus connus est « Nos femmes imminentes » (1935) consacré à la vie et à l’oeuvre de plusieurs personnalités féminines de la vie littéraire et culturelle ukrainienne : ceux de Hanna Barvinok et Olena Ptchilka jusqu’à Khrystyna Altchevs’ka, M. Zahirnya (Mariya Hrintchenko), Katria Hrynevytcheva. Sofiya Roussova étudie aussi la dramaturgie d’Oleksandr Oles’, les œuvres de Spyrydon Tcherkasenko. Elle écrit également des travaux sur le développement du théâtre en Ukraine.
Sofiya Roussova meurt le 5 février 1940, à Prague. Ses descendants vivent à présent dans le monde entier, sauf en Ukraine : à Montréal, à Prague, à Philadelphia, à Moscou, à Saint-Pétersbourg…

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