Critique littéraire et pédagogue, patriote ukrainienne et ministre
déléguée, elle est une des premières Ukrainiennes qui luttaient pour la place
des femmes dans la société
Sofiya Roussova est issue
d’une famille aristocrate, arrivée en Ukraine de la Sibérie. Sofiya Lindfors est
née le 18 février 1856, dans le village d’Olechnia, situé dans la région de
Tchernihiv. Son père, Fedir Lindfors, était d’origine suède et sa mère, Hanna
Gervès (ou Gervais), était d’origine française.
Le père, homme engagé, lutte toute sa vie contre le servage. Il inculque à ses enfants
les valeurs humanistes. Aussi, les rapports quotidiens avec les enfants de
paysans donnent-ils à la jeune Sofiya le désir d’être utile au peuple
ukrainien.
Quand elle a dix ans, sa
mère meurt, et son père est obligé de déménager à Kyïv. Là, elle s’inscrit au
gymnasium, où elle fait connaissance avec les jeunes Staryts’kyi. Désormais,
elle communique aussi avec l’auteur de l’hymne national ukrainien, Pavlo Tchoubyns’kyi, l’écrivain
et le musicologue, Mykhaïlo Drahomanov,
l’anthropologue, l’ethnographe et l’archéologue, Fedir Vovk, la famille Kossatch
et avec d’autres personnalités de l’élite intellectuelle ukrainienne.
Après la mort de son père, en
1871, Sofia Lindfors abandonne ses études au conservatoire de Saint-Pétersbourg
et, ainsi, renonce à son rêve de se consacrer à la musique. En contrepartie,
elle s’adonne à l’activité pédagogique. Ensemble avec sa sœur Marie, elle fonde
la première école maternelle ukrainienne à Kyïv, organise des cours
extrascolaires pour les adultes. Grâce aux Staryts’kyi, les sœurs Lindfors font
connaissance à M. Lyssenko
qui rassemble dans sa maison les représentants de la jeunesse kyïvienne engagée,
ainsi que de nombreux scientifiques, artistes et écrivains ukrainiens. Les
jeunes intellectuels vont à la rencontre du peuple, ils collectent ses
trésors culturels et folkloriques, en enregistrant les chants, les contes,
les légendes, etc. Sofiya Lindfors est passionnée par ce mouvement. Elle aussi,
elle se rend à son village natal d’Olechnia pour enregistrer des koliadkas et des chtchedrivkas, chansons rituelles slaves chantées la veille du
Nouvel An. Lors de cette activité, elle rencontre Oleksandr Roussov, ethnographe
et folkloriste ukrainien. Elle le suit à Saint-Pétersbourg, où, en 1874, Sofiya devient sa femme.
En 1876, avec son mari,
elle prépare dans la capitale russe la publication du célèbre recueil de Taras
Chevtchenko « Kobzar ». L’objectif du couple est de rassembler tous
les textes et les imprimer en deux volumes sans coupures de censure à l’étranger
(à Prague). Ainsi, les vers du poète-prophète ukrainien ont été sauvés. En
effet, les Roussov changent souvent de domiciles : ils habitent à tour de
rôle à Tchernihiv, à Kyïv, à Odessa, à Kherson, à Kharkiv etc. Sofiya travaille
dans les villages ukrainiens comme institutrice et sage femme. En 1881, accusée
de la collaboration aux mouvements révolutionnaires, Sofiya Roussova, mère de
trois enfants, est emprisonnée. En 1902, expulsés de l’Ukraine, les Roussov
s’installent à Saint-Pétersbourg. En tant qu’expert, Sofiya Roussova fait
partie de la commission de l’Académie russe des sciences en questions de la
légitimité de la langue ukrainienne, sous la direction d’O. Chakhmatov.
En 1908, les Roussov reviennent
à Kyïv, car Oleksandr Roussov reçoit l’invitation du directeur de l’Institut de
Commerce qui lui propose d’y enseigner la statistique. A partir de 1909, Sofiya
enseigne la pédagogie à l’Institut Frebel à Kyïv et le français à l’Institut de
Commerce. En 1910-1914, Sofiya Roussova, ensemble avec Hryhoriy Cherstiuk
et Spyrydon Tcherkasenko, éditent la revue pédagogique « Svitlo » (« La lumière »).
Elle participe aussi au congrès international des journalistes à Bruxelles où
elle fait son rapport sur l’état de la presse ukrainienne.
En 1917, Sofiya Roussova devient
membre du Conseil central, gouvernement de l’Ukraine indépendante, où elle
dirige deux départements - de l’éducation préscolaire et extrascolaire. Elle est
également à la tête de l’Association de professeurs ukrainiens. En 1920, avec
tout le ministère, elle se retire à Kamianets’-Podilskyï, où elle enseigne la
pédagogie à l’Université nationale. De 1920 à 1938, elle est chef du Conseil ukrainien
national de femmes.
En 1922, quand le pouvoir
bolchévique s’installe définitivement en Ukraine, elle part en émigration,
résidant à tour de rôle en Galicie, en Autriche, à Tchécoslovaquie. A partir de
1923, elle s’installe à Prague, où elle enseigne la pédagogie à l’Institut
ukrainien M. Drahomanov, instauré par ses soins.
En effet, Sofiya Roussova crée
ses propres méthodes de l’enseignement, reconnues par les chaires
universitaires de Varsovie, de Prague et
de Sofia. Voici la liste non-exhaustive de ses ouvrages pédagogiques :
« La nationalisation de l’éducation préscolaire » (1912),
« L’éducation préscolaire » (1918), « La théorie et pratique de
l’éducation préscolaire » (1924) , « La didactique »
(1925), « Les courants contemporains de la pédagogie nouvelle »
(1932), « Le rôle de la femme dans l’éducation préscolaire »
(1938) ; de ses manuels : « L’alphabet ukrainien. D’après le
manuel d’O. Potebnia et sous la rédaction de S. Roussova » (1906),
« Les principes de la géographie » (1911), « Manuel de français »,
etc.
L’héritage littéraire et
critique de Sofiya Roussova est assez considérable. Ses premiers écrits sont :
« Hryhoriy Savytch Skovoroda, le voyageur. Essai biographique »
(1894), « La littérature provinciale contemporaine » (1902). Ses études
sur l’œuvre de N. Gogol et sur celui de T. Chevtchenko ont le poids
critique encore aujourd’hui. Elle y combine le discours de la recherche
scientifique et le discours littéraire. Dans l’ouvrage sur Nikolaï Gogol,
elle décrit l’écrivain comme une personne très compliquée, abritant dans son
âme le bien et le mal, le petit et le grand. Cette femme chercheur a compris avant
tous que cette double âme était due à l’éloignement de Mykola Hohol du terrain
national qui lui avait été cher, de l’environnement national qui nourrissait
l’artiste par ses réalités.
Les études littéraires de Sofiya
Roussova provoquent un grand d’intérêt parmi les lecteurs. L’auteure étudie en
profondeur le fond historique et social, l’espace où la vie littéraire et
artistique se crée. Dans le processus littéraire de XIXe siècle, Sofiya
Roussova défend l’indépendance de la littérature ukrainienne, dévoile les
attaques chauvines contre elle. Les œuvres à ce sujet sont : « La
littérature ukrainienne de XIXe siècle. La première période de 1798 à
1862 » (1910), « La littérature ukrainienne de 1862 à 1900 »,
« Taras Chevtchenko comme poète national ukrainien. Sa vie et ses
oeuvres » (1911), « M.P. Drahomanov. Sa vie et ses oeuvres »
(1918), etc. Un des ouvrages les plus connus est « Nos femmes
imminentes » (1935) consacré à la vie et à l’oeuvre de plusieurs
personnalités féminines de la vie littéraire et culturelle ukrainienne : ceux
de Hanna Barvinok et Olena Ptchilka jusqu’à Khrystyna Altchevs’ka, M. Zahirnya
(Mariya Hrintchenko), Katria Hrynevytcheva. Sofiya Roussova étudie aussi la
dramaturgie d’Oleksandr Oles’, les œuvres de Spyrydon Tcherkasenko. Elle écrit également
des travaux sur le développement du théâtre en Ukraine.
Sofiya Roussova meurt le 5
février 1940, à Prague. Ses descendants vivent à présent dans le monde entier, sauf en Ukraine : à Montréal, à Prague, à Philadelphia,
à Moscou, à Saint-Pétersbourg…
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