Lessia Oukraïnka est le premier écrivain ukrainien qui a écrit non seulement pour les lecteurs de son pays, mais pour les lecteurs du monde entier. Son œuvre fait partie de la littérature et de la tradition littéraire mondiale.
Lessia Oukraïnka (pseudonyme de Laryssa Petrivna Kossatch-Kvitka) est née le 25 février 1871, dans la ville de Novohrad-Volynskyi, au Nord-ouest de l’Ukraine. Sa mère, Olha Petrivna Drahomanova-Kossatch (Olena Ptchilka), est une des femmes illustres ukrainiennes : elle est écrivain (auteur des poèmes lyriques et patriotiques), une femme politique, scientifique, diplomate, journaliste, éditrice et patriote. Son père, Petro Kossatch est un fonctionnaire. Il fait ses études de droit à Saint-Pétersbourg. Après deux ans d’études, il est obligé de s’évader à Kyïv à cause de sa participation dans le mouvement révolutionnaire estudiantin de 1861. C’est là, qu’il obtient son diplôme de juriste et soutient sa thèse de doctorat. La légende dit que le nom de famille paternel vient de la Serbie. En 1444 son ancêtre Stefan Kossatch obtient de l’empereur allemand Friedrich le titre de Herzog (duc) ce qui a donné le titre de Herzégovine à tout son domaine. Lors de l’invasion du pays par les Turcs, les Kossatch vont servir le roi polonais. C’est ainsi qu’ils arrivent en Ukraine.
Chez les Kossatch se rassemblent souvent les écrivains, les peintres et les musiciens. Chez elle, Lessia assiste aux soirées littéraires et aux concerts de famille. L’oncle de Lessia, Mykhaïlo Drahomanov, est une personnalité éminente de la culture ukrainienne et un Ukrainien engagé. C’est à lui qu’appartient le rôle principal dans la formation de la conception du monde de l’écrivaine et de ses idéaux. Il l’aide comme critique littéraire et comme folkloriste. Plusieurs années de suite, ils mènent une correspondance intellectuelle.
Lessia Oukraïnka et à son frère cadet Mykhaïlo font leurs études à la maison. Pour cela leur mère invite des instituteurs privés. Pour l’étude des différentes disciplines, elle fournit à ses enfants les ouvrages de niveau universitaire. A l’âge de 19 ans Lessia Oukraïnka écrit, n’est que pour son frère cadet, le manuel « L’histoire des peuples orientaux aux temps anciens». Olena Ptchilka fait traduire en ukrainien par ses enfants les récits du recueil de Nikolaï Gogol Les veillées de hameau. Lessia Oukraïnka maîtrise plusieurs langues européennes vivantes, y compris les langues slaves : à savoir, le russe, le polonais, la langue bulgare, etc. De plus, elle connaît bien l’ancien grec et le latin. Lessia Oukraïnka traduit beaucoup : ce sont les œuvres d’Adam Mickiewicz, Heinrich Heine, Victor Hugo, Homère, entre autres.
Dès son enfance, Lessia souffre d’une maladie incurable, la tuberculose des os. Pourtant, les séjours de cure en Allemagne, en Austro-Hongrie, en Italie, Egypte, au Caucase et en Crimée enrichissent l’écrivaine intellectuellement et émotionnellement. Lors de ses voyages à travers la Galicie et la Bucovine, Lessia Oukraïnka fait connaissance avec beaucoup de personnalités des lettres ukrainiennes, à savoir, Ivan Franko, Mykhaïlo Pavlyk, Olha Kobylians’ka, Vassyl Stefanyk, Ossyp Makoveï, Natalia Kobryns’ka, etc.
Lessia Oukraïnka écrit son premier vers à l’âge de 9 ans (L’Espoir, 1878). Ses premières poésies sont publiées, en 1884, dans la revue « L’Aurore » (Le Muguet, Sapho). L’activité littéraire de Lessia Oukraïnka devient plus riche vers les années 1880. A cette époque les Kossatch habitent à Kyïv et se trouvent au cœur de la fleur de l’intelligentsia ukrainienne. Lessia Oukraïnka participe aux activités du cercle littéraire « La Pléiade ». C’est un groupe de jeunes intellectuels dont le but est le développement et la promotion de la culture et de la langue ukrainiennes. Ils composent la liste des œuvres de la littérature mondiale nécessaires à traduire en ukrainien (par exemple, du français : celles de Beaumarchais, Balzac, Voltaire, Rousseau, Chénier, Leconte de Lille, etc). En 1892, la traduction ukrainienne des « Cantiques des cantiques » d’Heinrich Heine, que l’écrivaine fait en collaboration avec M. Slavins’kyi, est publiée. En 1893, à Lviv, paraissent le premier recueil de ses poèmes Sur les ailes des chants et le deuxième recueil Les Pensées et les rêves. Le premier recueil est interdit en Russie par la censure, Lessia Oukraïnka se trouve donc sous la surveillance de la police. En 1907, suit l’arrestation de Lessia et de sa sœur Olha. En 1895, elle rédige un article pour la presse française La voix d’une prisonnière russe. Le troisième recueil de poèmes, Les Echos, sort à Tchernivtsi en 1902. Au début du XX° siècle Lessia Oukraïnka écrit plus de cent poèmes, la moitié desquels seront des publications posthumes. Les poèmes les plus connus de Lessia Oukraïnka sont Contra spem spero (1890) et Paroles, que n'êtes-vous dur acier (1896).
Lessia Oukraïnka est un grand auteur de théâtre. Outre la thématique ukrainienne, ses pièces sont souvent des réécritures des mythes littéraires : entre autres, le drame-féerie La Chanson sylvestre (1911) est une version originale de la légende de Graal, et Le Maître (L’Amphitryon) de pierre (1912) est le premier Don Juan écrit par une femme. Lessia Oukraïnka connait bien la littérature classique mondiale qu’elle lit en version originale et elle désire qu’elle soit accessible au lecteur ukrainien. L’écrivaine consacre beaucoup de son temps aux traductions. Parmi les œuvres traduites par Lessia Oukraïnka il y a la poésie de l’Ancien Egypte, la Rig-véda indienne, les vers de Homère, les poèmes de Heinrich Heine ; elle traduit également les œuvres de V. Hugo (les poèmes De pauvres gens et Tendres poètes, chantez), W. Shakespeare (Macbeth), J. G. Byron (Caïn), Dante (L’Enfer), M. Maeterlinck, H. Hauptmann, A. Mickiewicz, I. Tourgueniev, etc.
A partir de la fin des années 1880, Lessia Oukraïnka étudie la littérature folkloriste spécialisée et commence à enregistrer non seulement les textes, mais aussi les mélodies des chansons populaires ukrainiennes. Elle rassemble le folklore des régions de Poltava et de Volyn’, fait des enregistrements sur le phonographe des doumas de kobzar et des chansons populaires ukrainiennes.
Lessia Oukraïnka meurt le 19 juillet 1913, loin de sa Patrie, au Caucase. Elle est enterrée à Kyïv. Un Musée littéraire et mémorial est créé à son hommage. Les avenues de Kyïv, d’Yalta, de Lviv et de beaucoup d’autres villes portent son nom. L’Université de Loutsk porte également le nom de Lessia Oukraïnka. En Ukraine et ex-Union Soviétique il y a beaucoup de monuments de l’écrivaine. Il existe aussi une statue de Lessia Oukraïnka dans le High Park de Toronto, au Canada.
Lessia Oukraïnka en images ici
Les traductions des œuvres poétiques de Lessia Ukraїnka en français :
Lessia Oukraïnka, Œuvres choisies. Trad. Andriy Swirko, Bruxelles, 1970;
Lessia Ukraïnka, L’Espérance, Choix de poèmes. Trad. Henri Abril, Kyïv, 1978.
Œuvres dramatiques de Lessia Oukraïnka :
Les Adieux (1896)
Iphigénie en Tauride (1898)
Obsédée (1901)
Sur les ruines (1904)
Le Conte d’automne (1905)
Trois minutes (1905)
Dans les catacombes (1905)
Dans la maison de la besogne, dans le pays de l’esclavage (1906)
Cassandre (1903 – 1907)
Aїcha et Mohammed (1907)
Dans les bois (1897 – 1909)
Sur le champ du combat (1909)
Yohanna, la femme de Hus (1909)
Ruth et Priscille (1906 – 1910)
La Boyarde (1910)
La Chanson sylvestre (1911)
Martien l’avocat (1911)
Le Maître de pierre (1912)
Iseut aux Mains Blanches (1912)
Le Miracle d’Orphée (1913)
L’Orgie (1913)
Poésie de Lessia Oukraïnka: source Mazepa 99
Paroles, que n'êtes-vous dur acier,
Qui dans les combats puisse scintiller ?
Que n'êtes-vous une épée sans merci
Pour trancher la tête des ennemis ?
Je voudrais, ô langue trempée et fière,
Te dégainer tout comme une rapière,
Mais las ! mon cœur seul saignerait ainsi,
Sans que ma lame perce l'ennemi...
J'affilerai une épée, une lance,
Selon mon savoir-faire et ma patience,
Puis au mur blanc je les accrocherai,
Au rire des uns, mais à mon regret.
Paroles, ma seule arme de combat,
Soyez sûres, nous ne périrons pas !
Aux mains de frères, d'inconnus amis,
Vous pourfendrez mieux les bourreaux maudits.
L'épée frappera les fers en tintant,
Lançant l'écho jusqu'aux fiefs des tyrans,
Rencontrera des lames fraternelles
Et, non captive, une langue nouvelle.
Mon arme ira dans les mains de vengeurs
Qui courront au combat avec ardeur...
O, mon glaive, sers les guerriers d'airain
Mieux que tu ne sers en faibles mains !
Traduit par Henri Abril
Contra spem spero
Fuyez au loin, oh mes pensées ; lourdes nuées d'automne
Car voici revenu le printemps lumineux ;
Pourquoi faut-il donc que mes jeunes années
S'écoulent dans la peine et l'écho des sanglots ?
Non, à travers les larmes, je garde le sourire
Et je chante au milieu des malheurs,
Sans espoir, je veux espérer quand même,
je veux vivre : fuyez, pensées qui m'accablez !
Sur notre terre si dure et si aride,
Je m'en irai, semant des fleurs brillantes,
Dans la neige glacée je planterai des fleurs
Et les arroserai de mes larmes amères.
Et l'écorce puissante des glaces
Fondra sous mes pleurs brûlants,
Pour moi alors des fleurs pourront éclore,
M'annonçant enfin un heureux printemps.
Sur la pente abrupte de la montagne,
Comme on porte la croix, je porterai ma pierre,
Et m'élevant avec la charge énorme
J'entonnerai quand même un chant de joie.
Dans la nuit infinie et sombre,
Mes paupières jamais ne s'abaisseront,
Et mes yeux guetteront l'étoile des rois mages
Qui domine les nuits de son brillant éclat.
Oui, à travers les larmes, je garde le sourire
Et je chante au milieu des malheurs,
Sans espoir, je vais espérer quand même,
Je vais vivre : adieu, pensées qui m'accablaient !
Traduit par Kaléna Houzar - Uhryn
Première parution : Bulletin Franco-Ukrainien, N° 16, décembre 1963
Texte de Lessia Oukraïnka, qu'elle a rédigé en français:
La voix d’une prisonnière russe
Petit poème en prose, dédié aux poètes et artistes qui ont eu l’honneur de saluer le couple Impérial Russe à Versailles
Grands noms et grandes voix! De leur bruit sonore l’univers retentit!.. Certes, la faible voix d’une esclave qui chante n’aura pas la gloire d’attirer l’attention de ces grands demi-dieux à la tête couronnée de lauriers et de roses. Mais nous autres, pauvres poètes des cachots, nous sommes habitués aux chants sans échos, aux prières inexaucées, aux malédictions vaines, aux larmes inconsolées, aux gémissements sourds. On peut tout comprimer hors la voix de l’âme, elle se fera entendre dans un désert sauvage si ce n’est dans la foule ou devant les rois. Et le front qui n’a jamais connu de lauriers n’en est pas moins fier, n’en est pas moins pur, il n’a pas besoin de lauriers pour cacher quelque opprobre. Et la voix qui n’a jamais éveillé l’écho d’or n’en est pas moins libre, n’en est pas moins sincère, elle n’a pas besoin de célèbres interprètes pour se faire bien comprendre.
Or, laissez nous chanter, le chant est notre seul bien, on peut tout comprimer hors la voix de l’âme.
Honte à la lyre hypocrite dont les cordes flatteuses remplissaient d’arpèges les salons des Versailles! Honte aux incantations de la nymphe perfide qui du chaos des siècles évoquait les ténèbres! Honte aux libres poètes qui devant l’étranger font sonner les anneaux de leur chaînes librement mises! L’esclavage est ignoble d’autant plus qu’il est libre. Honte à vous, comédiens, qui des lèvres sacrilèges prononciez le grand nom de Molière qui jadis de son rire mordant rongeait l’affreux colosse érigé pour la France par le feu Roi-Soleil. Le fantôme de ce Roi, si pâle à la veille, a rougi de joie à l’accent de vos chants dans la ville de Paris, cette ville régicide dont chaque pierre dit: à bas la tyrannie! Malheur aux vieilles villes dont les pierres moisies, les lanternes rouillées et les places étroites sont de grands orateurs et ne savent pas se taire…
Bons Français, emmenez notre roi plus loin de cette ville des spectres, à Chalons, Trianon, n’importe où, mais plus loin, parce qu’ici dans les chambres d’Antoinette et de Louis, les mauvais cauchemars peuvent troubler son repos après tant de triomphe, après tant de victimes qui jonchaient le chemin de son char de César qui passait sur les morts. Est-ce en vain qu’après votre alarmante «Marseillaise» on chantait le refrain d’une suprême angoisse: «Dieu, sauvez le roi !»
Bâtissez bien le pont pour joindre les peuples, qu’il ne soie pas moins solide que ces vieux ponts royaux à Paris, à Moscou. Ceux-là ont bien soutenu la danse effrénée de la foule déchaînée animée par la haine, éclairée d’incendie. Ayez soin que votre pont ne s’écroule pas bien vite pendant un de ces fours de grands bals populaires, guerres ou révolutions, ces brillantes mascarades!
Grands poètes, grands artistes! quel sera votre beau masque couvrant vos faces célèbres pendant ces grandes fêtes? Quel sera la costume, de quel siècle, de quel style, qui fera votre gloire dans ces «folles journées»? Quant à nous, si obscures, inconnus maintenant que les grands de ce monde ne daignent pas nous voir, nous irons tous sans masque dans ces jours effrayants, car les masques de fer ne peuvent pas être changés en velours hypocrites.
Savez-vous, grands confrères, qu’est ce que la misère? La misère d’un pays que vous nommez si grand? C’est votre mot favori, ce pauvre mot «de grandeur», le goût de grandiose est inné aux Français. Oui, la Russie est grande, un Russe peut être exilé même aux confins du monde sans être expatrié. Oui, la Russie est grande, la famine, l’ignorance, le vol, l’hypocrisie, la tyrannie sans bornes, et toutes ces grandes misères énormes, grandioses, colossales. Nos rois ont dépassé les rois égyptiens dans le goût du massif, leurs pyramides sont hautes et bien solides, votre Bastille n’était rien auprès d’elles! Venez donc, grands poètes, grands artistes, contempler la grandeur des nos fortes Bastilles, descendez des estrades, ôter vos cothurnes et venez explorer notre belle prison. N’ayez pas peur, confrères, la prison des poètes qui aiment la liberté, la patrie et le peuple n’est pas si étroite comme les autres cachots, elle est vaste et célèbre son nom est la Russie! Le poète y peut vivre et même en sûreté, seulement privé de nom ou bien privé de tout.
Vivez en paix, confrères, ornés de vos grands noms! Et toi, Muse française, pardonne à la chanteuse, esclave privée de nom! Je t’ai moins profané dans ma prose indigente que tes libres amis dans leurs beaux vers dorés!
La prisonnière
Source: L'encyclopédie de la vie et de l'oeuvre de Lessia Oukraïnka
Voir aussi : Dragomanow Michel, 1878, La littérature oukraînienne proscrite par le gouvernement russe, Lviv, 2001, 94 p. (édition bilingue français/ukrainien).
Petite bibliographie:
- Actes du Colloque Lessia Ukraïnka. Paris-Munich, Université de la Sorbonne, Université libre ukrainienne, 1983. (Actes du Colloque des 23 et 24 avril 1982 à la Sorbonne)
- Oukraïnka (Lessia) Cassandre. Bruxelles, Edité par le traducteur, 1974 (Poème dramatique traduit, préfacé et annoté par Andry Swirko)
- Oukraïnka (Lessia) L'amphitryon de pierre. Bruxelles, Edité par le traducteur, 1974 (Drame traduit par Andry Swirko)
Mais pourquoi les personnes de talent ont-elle toujours un sort difficile?
RépondreSupprimerPassée par une vie dur nous motive a aller ver des choses meilleures, par contre les heureux ne cherche rien.
SupprimerLes délicats sont malheureux car rien ne saurait les satisfaire.
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