Ivan Sentchenko (1901-1975)

Avec son collègue Yuriy Yanovs’kyi (même si leurs styles sont opposés), il est un des plus forts romanciers de la nouvelle génération, deuxième après la révolution qui est née en XXème siècle et qui s’est manifesté dans la seconde moitié des années 1920. Amoureux de la vie, sans être aveuglé par cet amour, Ivan Sentchenko est un observateur de la vie et de l’homme moderne. Cet écrivain a créé son propre style, en combinant le réalisme mûr avec le romantisme, le courant lyrique avec la satire et l'humour.

Ivan Sentchenko est né en 1901 dans le village de Natalyїvka (Chahivka), près de Tchervonohrad, dans la région de Poltava. Son père Yuhym, un paysan déclassé à cause de la pénurie de terres, est en même temps l'homme du village et l’homme de la ville. Il travaille à Tchervonohrad comme ouvrier non qualifié, jardinier, ouvreur de cinéma, directeur de chorale de l'église et ainsi de suite. Ivan Sentchenko fait ses études à l’école primaire et secondaire de campagne, puis il y travaille comme professeur. Il fait ses études à l'Université de Kharkiv, en œuvrant en même temps aux éditions des journaux et des revues de Kharkiv. C’est Mykola Khvylovyi qui est le premier à remarquer le talent d’Ivan Sentchenko. Il invite le jeune écrivain à participer aux activités de “Vaplite”, à prendre part aux éditions des revues comme “Vaplite” (1927), “Literaturnyi Yarmarok” (1929), “Prolit-Front” (1930).

Dans ses meilleures œuvres (L’Histoire d’une carrière, Kharkiv, DVU, 1926, 78 p.; Le Voyage à Tchervonohrad, “Vaplite”, n°5, 1927, p. 78-117; Les Portraits de Tchervonohrad, “Literaturnyi Yarmarok”, février 1929, livre 3, p. 94-152; Les Chaines de chênes, 1928) Ivan Sentchenko introduit dans la littérature son Tchervonograd comme Gogol y avait introduit son Mirgorod. En plaisantant, Ivan Sentchenko dit à propos de Tchervonohrad : "Même si j’en ai le plus grand désir, il m’est difficile de dire quelque chose de plus que « je t'aime d’un amour non-partagé ». Cet amour concret et "localisé" et la maîtrise du langage littéraire créent les images des personnes fortes physiquement et ayants de forts caractères – des paysans pauvres et riches, des chargeurs et des meuniers, des commerçants, des travailleurs et tout simplement des habitants de la province rurale et urbaine, qui après l'annulation du communisme militaire sous les conditions de la liberté économique relative de Nep sont les créateurs d’une renaissance sociale et économique originale de l'Ukraine.

La région de Tchervonohrad d’Ivan Sentchenko, sur les plaines fertiles de laquelle les chemins de fer Kharkiv-Kherson, Poltava-Donbass se sont croisés, donne dans ses œuvres un goût frais de cet élan économique et créatif très fort, que l’Ukraine aurait pu avoir aux conditions de la liberté un peu plus longue ou au moins partielle, étant délivrée de la pompe du colonialisme et de la sclérose du bureaucratisme. Certains des portraits de Tchervonohrad, peints par Ivan Sentchenko, ressemblent par son esprit aux descriptions de l’élan industriel américain de la même époque. Et avec tout cela ils créent des images des hommes ukrainiens gogoliens. Les œuvres d’Ivan Sentchenko ne manquent ni d’éloquence, ni d’intensité de réalisme, ni de lyrisme romantique, poivré par l’humour le plus « chaud » ou par le sarcasme perçant. Plus tard, le penchant pour l'humour se manifeste chez Ivan Sentchenko dans son roman historique La Porte Noire, qui évoque dans la mémoire le roman de Romain Rolland Colas Brugnon.

Les nouvelles d’Ivan Sentchenko, écrits pendant son activité au sein de l’Union des écrivains ruraux « Plug » n’ont pas de succès (Nouvelles, Kharkiv, DVU, 1925, 184 p.). Son passage de « Plug » à « Vaplite », cercle littéraire « haut de gamme » (1925), ouvre la voie à sa réussite en qualité du romancier et de l’essayiste, mais aussi à la critique du parti communiste, à laquelle Ivan Sentchenko sait répondre à l’aide d’une contre-attaque par les moyens d’un critique littéraire. Une colère particulière de ses opposants est dirigée contre Ivan Sentchenko après l’apparition de sa satire très connue Les notes (revue “Vaplite”, 1927, partie 1, p. 3—11), qu’il appelle aussi “Kholouyevi Zapysky” (Les Notes de Lèche-bottes). La critique petit-russienne rouge s’est empressé à décrypter dans le personnage du Lèche-bottes le Grand la littérature de prolétariat qui, comme le partie communiste d'Ukraine, est dépendante de son « Pie suprême ». En réalité, le Lèche-bottes est un personnage très vaste et complet qui exprime une image des gens serviles, soumis et cruels, mis au service du despotisme et de la dictature, qui pratiquent les principes formulés dans Les Notes de Lèche-bottes: l’obéissance, la soumission, le silence, le servilisme, mais aussi la peur de la personne plus forte, ils sont prêts à frapper sans pitié la personne plus faible, à soumettre son visage aux insultes, à ressembler à un âne (avec plaisir), à ne pas être nerveux, à ne pas penser, à regarder dans les yeux de Pie (ses yeux, ce sont vos yeux), à regarder dans la bouche de Pie (ses mots, ce sont vos mots), à humilier et à battre tous les descendants de Prométhée (en ayant Pie derrière son dos), et à lever la main même sur son père…

Le fouet cruel des Notes de Lèche-bottes d’Ivan Sentchenko porte le coup violent à la nature servile des Ukrainiens qui devient le fondement du système social et politique de l’URSS. A l’époque tout le monde ne sait pas encore que le Pie tout-puissant – Staline - est déjà né à Moscou. L’effet que cet œuvre produit ressemble à celui des chefs-d'œuvre satiriques de M. Saltykov-Chtchedrine. Il est intéressant de remarquer que « Le Journal Littéraire » de Kyïv, qui dans ses publications en 1927 fait une crise de nerfs, en écrivant que Les Notes de Lèche-bottes est une calomnie sans exemple à la littérature de prolétariat et aux membres du parti communiste de l'Ukraine, dans 30 ans publie sans aucune blague, dans son numéro du 4 juillet 1958, un poème lyriquePartiyaOtchi Moi” (Le Parti, Mes Yeux) dun jeune poète lvivien Dmytro Pavlytchko (le poème consacré à l'anniversaire de 40 ans du partie communiste ukrainien), où il répète mot-à-mot les formules prononcées par Lèche-bottes:

Le parti, ce sont mes yeux!

Le parti, c’est ma langue!

L’Ukraine marche, elle est mon aube!

Le Parti, c’est son cœur!

Son esprit, c’est le parti!

Cette métamorphose vertigineuse du personnage entièrement satirique par son essence, sa nature, sa forme et ses fonctions, au personnage lyrique est la suite de 30 ans du “culte de la personnalité”. Le paradoxe consiste en ce que Pavlytchko donne la vie à cet hymne de larbin après la liquidation du “culte de la personnalité”, à l’époque quand on aurait dû normalement remettre un prix à Ivan Sentchenko pour Les Notes de Lèche-bottes. Au lieu de cela, on ajoute à l’offense passée d’Ivan Sentchenko, critiqué pour son œuvre, une autre – le plagiat. On le vole et de quelle manière! Lors des époques stalinienne et poststalinienne, il est forcé d’écrire des œuvres dans la forme de « réalisme socialiste », où il est médiocre et ennuyeux comme les autres 500 écrivains ukrainiens soviétiques, parmi lesquels il est impossible de distinguer sous le voile gris de réalisme socialiste le talent littéraire et l’incapacité.

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