Écrivain, philosophe, fondateur du Groupe Ukrainien d'Helsinki, dissident ukrainien
Il est né dans une famille d’un mineur. Très tôt, à l’âge de 7 ans, il perd son père qui périt dans la mine. Sa famille, où il y a trois enfants, a pu survivre grâce au travail sur la terre, ils ont pu même s’acheter un cheval, une vache et deux bœufs. Toutefois, une année plus tard, ils auraient dû donner tout au kolkhoze où commence à travailler la mère du futur écrivain. Suite à un traumatisme dû à un accident, à l’âge de 8 ans, Mykola cesse de voir avec son œil gauche. Ce qui est étonnant, quand en 1991, il perd la vision de l’œil droit, l’autre commence à fonctionner, c’est-à dire, après 63 ans de l’handicap.
Dès l’enfance, il compose des poèmes qui sont publiés par les journaux de pionniers et de komsomols. Il obtient même une bourse de Narkompros (analogue du Ministère de l’Education Nationale) en gagnant un concours littéraire. Cette bourse lui offre la possibilité de faire ses études supérieures – il entre donc à l’Université de Kyïv, à la faculté des lettres. Mais, sur place, il se trouve, que personne ne veut lui attribuer son argent. L’inscription à l’université se révèle aussi problématique. Finalement, il est aidé par l’écrivain Léonid Pervomaïs’kyi. Après seulement deux mois d’études, Mykola Roudenko est mobilisé (il escamote du conseil de révision son handicap). Il participe à la Deuxième Guerre mondiale, lors de laquelle il est gravement blessé (il est titulaire de plusieurs décorations militaires). 0 la suite de ses blessures, Mykola Roudenko se trouve entre la vie et la mort, mais il survit.
En 1947, il fait publier son premier recueil de poèmes, De la campagne de guerre. Cette œuvre lui assure une place honorable parmi les membres de l’Union des Écrivains Ukrainiens (UEU). Dès lors, il travaille dans la maison d’édition « Écrivain soviétique » (Radians’kyi pys’mennyk), mais aussi comme rédacteur d’une revue littéraire, « Dnipro ». Il est également secrétaire du comité du parti communiste de l’UEU.
Toutefois, en 1949, lors de la campagne stalinienne « contre les cosmopolites », il refuse de caractériser négativement les écrivains juifs (Riva Balasna, Matviy Talalaïevs’kyi, Hryhoriy Polanker, Léonid Pervomaïs’kyi et d’autres), qu’on veut exclure de l’UEU. Grâce à son acte de refus, certains écrivains ont été épargnés de poursuites, d’autres ont été quand même déportés dans les camps soviétiques de concentration. En « caractérisant » positivement Zynaïida Touloub, déportée à Kazakhstan pour son roman Les Chasseurs des hommes, il s’oppose à l’écrivain ukrainien officiel, nommé « copain de Beria», Oleksandr Korniïtchouk. Celui-ci accuse vulgairement Mykola Roudenko d’ « être tombé amoureux d’une vieille pute » …
Ainsi, l’an 1949 devient l’année de naissance de Roudenko-dissident. Représentant par excellence d’une élite culturelle de l’Ukraine soviétique avec une biographie communiste exemplaire (un originaire d’une famille ouvrière et pas d’une intelligentsia « trop suspecte », un communiste fervent, un vétéran de guerre, un survivant au blocus de Leningrad, le leader des écrivains ukrainiens soviétiques d’après-guerre, un auteur de talent, etc.), il porte un mauvais coup au pouvoir qui le chérit. Mykola Roudenko fait un saut dans le gouffre, en ayant le courage d’abandonner tous ses privilèges de l’écrivain officiel, en vouant sa vie à lui et celle de sa famille aux poursuites sans fin. Et ce pas vertigineux est fait à l’âge mûr…
En fait, il entre au parti communiste très jeune, aussitôt après l’école secondaire. « Longtemps je suis resté très engagé par le communisme. Longtemps j’ai eu une foi profonde au parti communiste, je suis resté longtemps un stalinien fidèle, j’ai dédié à ce chef soviétique beaucoup de mes poésies, parmi lesquelles il y avait même un poème sur Staline ». Une rupture terrible se produit dans ses opinions après le XX congrès du PCUS. Il commence à chercher les causes d’un tel phénomène paradoxal : « Comment un sadiste peut diriger un parti et un état ? Peut-être, c’est son idéologie qui a des défauts ? ». En étudiant les œuvres de Marx et d’Engels, Mykola Roudenko se rend compte que leurs idées ont été fausses dans la compréhension de la plus-value. D’après l’écrivain, elle est créée non pas suite à la surexploitation du travailleur, mais avec l’action de l’énergie solaire (« photosynthèse ») en combinaison avec le travail du paysan et du bétail sur la terre. Mykola Roudenko expose sa vision du problème dans les œuvres philosophiques qui ont paru dans le « samizdat » en 1975, à savoir : L’Energie du progrès et La Formule du Soleil. Au début des années 1960, il écrit des lettres à Nikita Khrouchtchev, où il explique ses idées concernant le marxisme, en touchant à l’intouchable - le soubassement de l’idéologie soviétique. Et ceci est fait par un écrivain officiel qui se baigne dans la grâce du pouvoir ! Les autorités soviétiques répandent la rumeur sur la folie d’écrivain et le placent, contre son gré, en le trompant, à l’hôpital psychiatrique. Grâce à l’honnêteté des médecins, il en sort sans avoir subi de séquelles.
Dans les années 1970, Mykola Roudenko est déjà un partisan actif de la protection en URSS des droits de l’homme, y compris nationaux. Il entretient des relations étroites avec les dissidents russes. Il est également membre de l’antenne soviétique de l’Amnistie internationale. Il a été soutenu par Andreï Sakharov et par le général Petro Hryhorenko (il dédie à ce dernier son poème La Croix).
En 1974, il se fait exclure du PCUS suite à sa critique du marxisme et à ses activités liées à la protection des droits de l’homme. L’année suivante, il perd son adhésion et donc son emploi en UEU. Une année plus tard, en 1975, Mykola Roudenko est arrêté pour la « propagande antisoviétique », mais il bénéficie de l’amnistie comme vétéran de la guerre, l’année du 30ème anniversaire de la Victoire. Privé de moyens matériels de l’existence, l’écrivain vend d’abord, la voiture, puis, la datcha, et enfin, pour gagner sa vie, il s’engage comme gardien de nuit de la décharge des déchets nucléaires.
Mykola Roudenko est un des trois fondateurs (avec Oksana Mechko et Oles’ Berdnyk) et le premier chef du Groupe Ukrainien d’Helsinki (GUH). Quarante et un défenseurs des droits de l’homme ont fait partie de cette organisation. Il n’y a qu’un seul membre qui a été forcé par le régime de dire sa mea culpa, un de ses membres s’est suicidé (Mykola Melnyk), quatre membres, Vassyl Stouss, Yuriy Lytvyn, Valèriy Martchenko et Oleksa Tykhyi, ont péri dans des camps concentrationnaires soviétiques.
Le 9 novembre 1976, dans l’appartement d’Andreï Sakharov à Moscou, Mykola Roudenko donne une conférence de presse aux journalistes étrangers, lors de laquelle il annonce la création du GUH. Ceci amène à la publication de la Déclaration du Groupe Ukrainien d’Helsinki et du Mémorandum №1. Dans le chapitre « Les violation typiques des droits des hommes », il y a des données sur la famine de 1933, sur les répressions des années 1930, sur l’extermination de l’UPA, sur les répressions contre la « génération des années 1960 », mais aussi la liste des camps politiques et celle de prisonniers politiques ukrainiens. Le soir même, les agents de KGB attaquent l’appartement de l’écrivain, en jetant des briques dans ses fenêtres. En conséquence, une amie de la famille, qui se trouve en ce mont chez les Roudenko (Oksana Mechko), est blessée à l’épaule.
Trois mois, plus tard, Mykola Roudenko est arrêté à Kyïv. Il est toujours accusé de la « propagande antisoviétique ». Le tribunal, qui est organisé loin de Kyïv, dans la région de Donetsk (avant « Stalino »), le condamne aux sept ans des camps du régime ferme et aux cinq ans de la déportation. Ses œuvres sont considérées comme « blâme du pouvoir soviétique », elles sont confisquées des librairies et des bibliothèques de l’URSS (17 titres en tout). D’abord, comme vétéran et blessé de guerre, il n’est pas engagé aux travaux physiques lourds. Mais, après le fait que lors d’un rendez-vous il passe ses poèmes à sa femme, il est « étapé » aux travaux forcés. Le 5 mai 1978, sa femme, Raïssa fait une manifestation devant la bibliothèque Lénine à Moscou, en tenant une pancarte : « Libérez mon mari, blessé de guerre, Mykola Roudenko ! ». En 1981, elle-même, elle est jugée, en obtenant 5 ans de camps de régime ferme. Elle les a passés en Mordovie, dans un camp pour les femmes.
Néanmoins, sous la pression de la communauté mondiale, en 1987, Mykola Roudenko est libéré. Il émigre à l’étranger, d’abord en Allemagne, puis aux États Unis, où il a été reçu par le président des Etats Unis, Ronald Reagan, dans la Maison Blanche. Il travaille à l’Occident comme journaliste aux « radios libres » (Svoboda, La Voix de l’Amérique). En 1988, il est privé de la citoyenneté soviétique par l’ordre de Gorbatchev.
Deux ans plus tard, en 1990, il rentre en Ukraine, il est réhabilité et redevient le citoyen soviétique. En 1993, en Ukraine indépendante, il devient le titulaire du prix littéraire ukrainien le plus prestigieux – le Prix National Taras Chevtchenko (pour le roman Orlova balka). Et en 2000, le président Léonid Koutchma lui accorde le prix du Héros de l’Ukraine. Dans l’école de son village natal (Yur’ïvka, région de Louhansk, à l’est de l’Ukraine), en 2011, un musée littéraire de patrimoine national portant son nom est inauguré.
Avant son arrestation, il est auteur de neuf recueils de poèmes, de trois romans et d’un recueil de récits publiés. Mykola Roudenko n’arrête pas d’écrire dans le camp. On lui confisque ses manuscrits, on le menace des punitions, mais il continue à écrire quand même. Il publie ses œuvres aux Etats Unis. Parmi les œuvres non-publiées se retrouve le poème Je suis libre (1977), le roman Orlova balka (1970, publié en 2002) et notamment le poème La Croix (1976). Certaines de ses œuvres sont publiées en Occident, à savoir : Illumination (Toronto-Baltimore, 1978), Au fond de la mer : Tragédie (Toronto-Baltimore, 1981) et Le plus grand miracle c’est la vie : Souvenirs (Kyïv-Edmonton-Toronto, 1998). Il continue à écrire et à publier en Ukraine indépendante : le recueil de poèmes Avec une plume d’une aile d’un ange (2003) ; les livres L’Energie du progrès. Essais sur l’économie physique (1998), Zahrava nad sertsem (1999) ; le roman d’anticipation pour la jeunesse L’Arche de l’Univers (1995) ; le roman de vulgarisation scientifique Le fils du Soleil – Phaéton (2002). Mykola Roudenko est mort en 2004, à Kyïv.
J'ai mûri et je suis devenu clairvoyant.
Point de prison pour ma pensée
Les mots ne sont pas morts sur mes lèvres fermées,
Mon âme vit, pareille aux brises dans la plaine,
Elle volète, amour ailé, par l'immense univers.
Je vois à travers le soleil - je vois si loin
Que je me ris de mes chagrins !
Dans le désespoir, plus de pleurs, plus de soupirs
dans le tourment.
Indifférent à la douleur, j'ai banni tout effroi
Dans mon cœur scintillant d'étoiles inconnues.
Avant cela, j'ai vécu dans le monde,
Mais à présent, ma liberté perdue,
J
e suis devenu l'Univers tout entier...
... Et l'univers vit en moi.
Traduit par Geneviève Saly
Première parution : Poèmes choisis de Mykola Rudenko, Amnesty International. Groupe 72. Caen, 1986
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