In memoriam Chevtchenko
A l’occasion du 150e anniversaire de la mort du poète, artiste national et humaniste ukrainien, Taras Shevchenko.
Il fallut que le peintre Karl Brullov, auteur d’un des plus célèbres tableaux russes de l’époque «Les derniers jours de Pompéi», peignît un portrait du poète Joukovski, bien vu en cour, pour que la carrière de Chevtchenko commence vraiment. Le portrait du poète aimé de toute la famille impériale fut tiré au sort à la loterie parmi les membres de la l’auguste famille, et les deux mille roubles assignats servirent à racheter le serf domestique Taras Chevtchenko à son seigneur, Vassili Engelgart. Le prix avait été négocié assez âprement, paraît-il. Cette célèbre vente par loterie eut lieu le 22 avril 1838.
Du coup le jeune homme put suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts, car il avait un grand talent pour le dessin. C’est ce talent que Brullov avait remarqué. Mais le jeune homme avait d’autres talents encore. Il était poète, et hésita sur la langue dans laquelle il écrirait, le russe ou l’ukrainien. Il n’était pas le seul à hésiter. C’était une époque où les "Petits-Russiens" se sentaient à l’aise dans leur dialecte familial comme dans la langue de culture de l’empire; Gogol discuta plus tard de ce choix dans un petit échange épistolaire avec Chevtchenko. Ils firent des choix contraires : l’un pour le russe, l’autre pour l’ukrainien, où la littérature était encore à bâtir. Mais, bien entendu, l’un comme l’autre maîtrisait les deux langues. Et toute la prose de Chevtchenko est écrite en russe, son journal est tenu en russe.
Deux ans après son rachat, Chevtchenko publia son premier poème épique, Le Kobzar, qui fit prendre conscience à la société ukrainienne que le dialecte petit-russien, jusqu’ici assigné aux genres secondaires et confiné à l’idylle, à la transcription des chansons populaires et des «doumy», ou méditations, pouvait devenir une langue épique. Deux ans plus tard ce fut un second poème épique Les Haïdamaks. Comme Mickiewicz dans ses Aïeux (prologue à la troisième partie), Chevtchenko donne de Pierre le Grand un portrait accusateur bien différent de celui des odes du XVIIIe siècle ou du poème de Pouchkine Le cavalier de Bronze. «Tsar maudit, insatiable, perfide serpent, qu’as-tu fait des Cosaques? Tu as empli tes marais de leurs os, Tu as bâti ta capitale sur leurs corps torturés. Et dans ton noir donjon, tu m’as massacré moi aussi, moi, libre hetman, mis en chaînes et par la faim martyrisé». Ainsi parle le hetman Polobotok, en invectivant du fond de son cachot Pierre le Grand !
Chevtchenko retourna en Ukraine comme membre de la Commission impériale d’archéologie. Kiev, au milieu des années 1830 avait un petit groupe d’ardents nationalistes, patriotes ukrainiens et rêveurs de fraternité slave. Le groupe s’appelait Fraternité de Cyrille et Méthode, dix membres furent arrêtés en 1847, dont Chevtchenko (un de ses poèmes avait particulièrement choqué l’empereur). Envoyé servir comme simple soldat au delà de l’Oural (ce fut aussi le cas de Dostoïevski après le bagne). Nicolas Ier ajouta à la main sur l’ordre le concernant qu’il devait faire l’objet d’une surveillance de tous les instants, et en particulier qu’il n’avait le droit ni d’écrire, ni de peindre, ni même de dessiner !
Chevtchenko devint un symbole de la souffrance sous le tyran, l’intelligentsia russe sympathisait avec le poète et peintre, ainsi puni cruellement. Il ne fut libéré qu’en 1859, après la mort de Nicolas Ier. Le malheureux était devenu alcoolique et mourut assez rapidement… Les poètes russes ont toujours aimé Chevtchenko. Il a été traduit par Pasternak, Vera Inber, Antokolski, Tvardovski, et même, avant eux, par le grand poète symboliste Fiodor Sologoub.
Son poème «La mendiante aveugle» commence par ce chant que chante l’aveugle :
«Qui vais-je appeler au secours ?
Qui partagera mon chagrin ?
Loin du pays, à qui chanter
Mon chant plaintif, désespéré ?
Ma liberté perdue, ô murs
De mon cachot, l’entendrez-vous ?
Ô, si ma plainte endolorie
Et le choc de mes fers rouillés,
Dessus vos ailes lumineuses,
Vous les pouviez porter, ô vents,
Dans le sein de la patrie-mère,
Jusqu’à ce bosquet tant aimé
Où père et mère me berçaient
Me berçaient et me chérissaient !
Et vous, frères, famille impie !
A l’étranger vous me vendîtes
Pour l’or, le vin et le cheptel,
Comme mouton du sacrifice…
Toi, Dieu, Dieu de la Judée !
Ne les châtie point pour leur crime !
Envoie sur moi ta paix du ciel !»
(adaptation de G. Nivat)
Taras Chevtchenko peintre :
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Bibliographie en français:
- Uhryn, Kalena et Joukovsky, Arkady. Taras Chevtchenko 1814-1861 : sa vie et son œuvre. (Recueil d'Articles et de traductions) ; Paris, Edition P.I.U.F., 1964, 125 pages.
- Taras Chevtchenko (1814-1861), Études et traductions françaises, Paris, Editions du Dauphin, 2004.
Liens : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tarass_Chevtchenko http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Po%C3%A8te_national_de_la_Petite-Russie Marie Scherrer. Chevtchenko: le poète national de l'Ukraine. Photos de Taras Chevtchenko
http://www.uasp.ca/evites/evites/Shevchenko_200th.cfm?utm_source=KMI_Evites&utm_medium=email&utm_campaign=Shevchenko%20200th
Ukrainian genius...
RépondreSupprimerYES
RépondreSupprimerJ`ai relu le de Taras Chevtchenko plusieurs fois. Je ne regfette pas.
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