Poète et prosateur ukrainien, Yevhène Hrebinka est né le 2 avril 1812, dans la propriété de ses parents, Oubijychtché, située dans la région de Poltava. Sa vie a été courte – il n’a vécu que 36 ans ; mais il a pu entrer dans l’histoire de la littérature de son pays : il écrit des fables que tout élève ukrainien apprend par cœur ; il édite la première anthologie de la littérature ukrainienne, l’almanach Lastivka (Hirondelle, 1841) ; il contribue au rachat du servage de Taras Chevtchenko et il aide le poète à publier son Kobzar. En peu de mots, l’Ukraine doit à Yevhène Hrebinka, avant tout, son grand poète national.
En effet, Yevhène Hrebinka introduit Taras Chevtchenko dans le cercle des intellectuels pétersbourgeois originaires de la Petite-Russie[1]. Yevhène Hrebinka est l’âme de cette communauté. Dans sa maison, il organise des soirées littéraires où prend part la crème de la crème de l’élite culturelle de la capitale russe. Il présente Taras Chevtchenko aux compatriotes notables du monde artistique. A ces connaissances, le poète doit sa libération. L’histoire du rachat de la liberté de Taras Chevtchenko par le tsar Nicolas I est un mythe. On sait, que pour mener cette opération au bout les amis du poète demandent à Karl Brioulov de peindre le portrait de Vassiliy Joukovskiy[2] pour le vendre aux enchères. Ainsi, ils désirent se procurer la somme nécessaire pour payer la liberté du poète-serf à son propriétaire, Pavlo Engelhardt[3]. Karl Brioulov entreprend et signe ce portrait (Ivan Sochenko, l’ami de Chevtchenko, l’achève). Le tsar gagne ce lot à la loterie et il doit payer 2500 roubles pour s’acquérir du tableau. Mais il ne donne que 1000 roubles. Les Petits-Russes rendent au tsar cette somme insuffisante et cherchent l’argent ailleurs. Il parait que Chevtchenko a été libéré grâce à un autre Nicolas – Nikolaï Gogol qui a fait ses études dans le même lycée de Nijyn qu’Yevhène Hrebinka. Une autre hypothèse non-élucidée est que, en 1837, Taras Chevtchenko peint le portrait d’ Yevhène Hrebinka (ci-dessus).
Arraché de l’Ukraine, à l’âge de 14 ans, Taras Chevtchenko se cultive dans la bibliothèque de son compatriote et mentor. Il y apprend, entre autres, la richesse de sa culture natale. Yevhène Hrebinka fait lire à Taras Chevtchenko l’Enéide d’Ivan Kotliarevs’kyi, les œuvres de Hryhoriy Kvitka-Osnovianenko, les ouvrages sur l’histoire de l’Ukraine, etc. Les échanges avec son pédagogue permettent au poète et au peintre de trouver et d’affiner son propre style. Le maître, lui-aussi, avoue être influencé par son élève génial. De plus, Yevhène Hrebinka trouve des commandes pour le jeune peintre. Lors d’une des séances de la peinture – Chevtchenko crée alors un portrait d’aquarelle d’un propriétaire terrien de Poltava – ce dernier voit les manuscrits non-publiés d’un génie débutant et il lui propose de payer leurs édition. C’est ainsi que, en 1840, parait le premier recueil de poèmes de Taras Chevtchenko, Kobzar. Yevhène Hrebinka salue la parution du poème de ce dernier, Haïdamaky, relatant la lutte des Cosaques au XVIII siècle, en Ukraine de rive droite.
En fait, Yevhène Hrebinka est le petit-fils d’un grenadier de l’armée de Souvorov, Grèbionkine, qui a pu obtenir le grade d’officier. Il est aussi le fils d’un officier de l’armée impériale russe. Pourtant, admirateur des Cosaques, il se réjouit du poème écrit par son compatriote qui chante la nostalgie de l’Ukraine cosaque aspirant à l’existence hors des empires. En fait, la mère d’Yevhène Hrebinka, est une descendante d’une famille cosaque connue, Markovytch (ou, d’après certaines sources, Tchaïkov’ki). Elève du lycée de Nijyn, le jeune homme demande à son père de lui envoyer une coiffe comme en portaient des Cosaques… Après avoir fait ses études secondaires, Yevhène Hrebinka passe trois ans dans le régiment cosaque. Déjà de Saint-Pétersbourg, il écrit à un ancien camarade de classe : « Lors d’un long voyage à Pétersbourg, je pensais : Qu’y ferai-je, seul parmi les moscals[4] ? Mais, j’y ai rencontré le contraire : Pétersbourg est une colonie des Petits-Russiens cultivés. Les étudiants de l’Académie de Médecine jouent Natalka Poltavka ». Dans la capitale russe, il travaille, d’abord, au Ministère de l’Education populaire comme inspecteur des écoles religieuses. Puis, il enseigne les lettres et la minéralogie dans les écoles militaires et dans l’Institut des ingénieurs de mines. Et enfin, il consacre ses heures de loisirs à la littérature.
Dans ses premières fables qu’il signe avec le nom russe de son grand-père, Grèbionkine, Yevhène Hrebinka critique les « parasites » – les fonctionnaires et les propriétaires des serfs – en les opposant aux gens honnêtes du peuple. En 1836, l’écrivain traduit en ukrainien le poème d’Alexandre Pouchkine, Poltava (il s’agit plutôt d’un pastiche écrit dans le style d’Ivan Kotliarevs’kyi). Plus tard, il crée le récit Les Notes d’un étudiant (1841), le poème sur l’époque des guerres de Cosaques, Tchaïkov’kyi (1843), le roman Docteur (1844), etc. L’écrivain s’occupe lui-même de l’édition de ses œuvres complètes. Vers 1848, l’année de sa disparition, il fait sortir huit volumes de ses œuvres où sont rassemblés 50 récits, romans et nouvelles. Mais la gloire mondiale lui arrive avec la création des paroles d’un seul poème – Otchi tchornye (la chanson avec la musique d’un valse de Florian Herman).
Yevhène Hrebinka n’est pas seulement un homme de lettres et un pédagogue éminent, il est aussi un mécène. En 1847, à son propre compte, dans un village de la région de Poltava, il crée une école pour les enfants des paysans pauvres. Toujours lié à l’Ukraine, il rêve de mourir sur sa terre natale. Mais la mort le surprend à Pétersbourg, le 3 décembre 1848. Il meurt de la tuberculose, comme le protagoniste de son récit Notes d’un étudiant. Yevhène Hrebinka est enterré dans son village natal, Mar’yanivka. En 1901, une localité située à 14 km de sa petite patrie est nommée Hrebinka. A partir de 1959, Hrebinka devient une ville.
Comme son compatriote Nikolaï Gogol, Yevhène Hrebinka raconte son Ukraine natale en russe aux lecteurs russes. Mais, son attachement à ses origines est tellement fort qu’il peut être considéré de plein gré comme un grand écrivain ukrainien.
D’après l’article d’Ihor Holod sur le site Istorytchna pravda
[1] La Petite-Russie est une appellation de l’Ukraine par les Grand-Russiens au XIXe siècle.
[2] Précurseur du romantisme en Russie, Vassiliy Joukovskiy (1773-1852), est considéré comme le poète russe de référence en 1810-1820, avant l'avènement de Pouchkine. Il compose, notamment, les paroles des hymnes de la Russie impériale « Que Dieu sauve le tsar » et « La Prière des Russes ». Il est un des amis d’un autre auteur d’origine ukrainienne, Nikolaï Gogol.
[3] D’origine suisse, Pavlo Engelhardt (1798-1849) est le représentant des quatre familles aristocratiques les plus riches de l’Ukraine. Il hérite de son père 18 000 serfs rien que dans la région de Kyïv.
[4] Moscals est une appellation des Grands-Russiens.
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