***
Mykola tomba malade, et Ivan
garda le feu à sa place. Devant le feu sur un banc le chef dort, et le malade
gémit dans le coin où s’agitent les ombres de la vaisselle. L’eau bout dans une
marmite noire, la fumée se cache sous le toit et sort à travers les planches.
De temps en temps l’esprit impur souffle dans le trou, et ensuite la fumée
frappe avec la force et pique les yeux, mais c’est bien, car cela empêche de
dormir. Le sommeil les harcèle. Pour le chasser Ivan tourne ses yeux vers le feu vivant. Il doit garder le feu –
cette âme de polonyna, - parce que qui sait ce qu’on devient sans
feu ?! La braise joyeuse rit à Ivan et elle disparaît soudainement. Les
taches vertes passent devant ses yeux, il voit les prairies vertes et même la
forêt. Les jambes blanches de Maritchka marchent dans la prairie, elle jette
son râteau sur les herbes et elle tend
ses bras à Ivan. Mais au moment où Ivan doit sentir le corps doux de
Maritchka contre sa poitrine un ours sort en rugissant de la forêt, et les
brebis blanches se mettent à courir, elles le séparent de Maritchka.
« Quel diable ! Est-ce que je dormais ? » La braise du feu
craque gaiement, le chef ronfle et Mykola gémit sous la couverture noire des
ombres agitées.
C’est peut-être l’heure de préparer
la soupe pour le petit déjeuner des bergers ?
Ivan sort de la bergerie.
Le silence et le froid
l’embarrassent. Le bétail respire sous l’abri. Les brebis s’entassent comme la
laine, les feux brillent légèrement à côté de la bergerie. Les chiens entourent
Ivan, ils étirent leurs corps endormis, ils excavent la terre et ils se
frottent contre ses jambes. Les montagnes noires ont inondé les vallées comme
un troupeau géant. Elles demeurent dans un tel silence qu’elles entendent même
le souffle du bétail. Et au-dessus de la montagne le ciel s’ouvre – cette haute
montagne céleste où pâturent les astres – comme les brebis blanches. Est-ce
qu’il existe une autre chose dans ce monde à part ces deux prairies ?
L’une se met par terre et l’autre là-haut, et entre elles le berger se détache
en noir comme une tache.
Et peut-être qu’il n’y avait
rien. La nuit inonda les montagnes, et peut-être que les montagnes glissèrent
et écrasèrent tout ce qui vit ? Le cœur d’Ivan bat seul sous sa veste dans
les espaces infinis et morts. La solitude – comme le mal des dents– commence à
lui sucer le cœur. Quelque chose de grand et d’hostile l’étouffe - c’est ce silence congelé, cette tranquillité
indifférente, ce sommeil de non-être. L’impatience lui frappe la tête,
l’anxiété l’étrangle, et en se réveillant avec le cri, avec l’ululement il se
jette vers la polonyna pour rompre le silence dans le peloton hurlant
des chiens, pour briser la nuit en morceaux comme une pierre brise la vitre. –
Ov !Ov !Ov ! – répondent les montagnes agitées… - Ha, ha, ha… -
Répètent les cimes lointaines angoissées, mais encore le silence rompu se ferme
autour de lui. Les chiens reviennent vers Ivan et ils lui montrent les dents,
agitent leurs queues.
Il se sentit encore plus triste.
Il voulait du soleil, le bruit joyeux de la rivière, le souffle chaud d’une
maison, de la conversation. Le chagrin attrapa son cœur, ce fut une affliction
douce. Les souvenirs commencèrent à l’inonder et à s’agiter devant ses yeux. Et
soudain il entendit une voix légère : « Iva-a ! » Quelqu’un
l’appelait. O ! Encore : « Iva-a ! »
Maritchka !? D’où
vient-elle ? Elle est venue sur la prairie ?! La nuit ? Elle
s’est perdue, et elle m’appelle ? Rêvait-il ? Non, elle est là. Le cœur palpite dans le
sein, mais Ivan hésite encore. Où faut-il aller ? Et pour la troisième
fois la voix vient sur lui, on ne sait d’où :
« Iva-a !... ». Maritchka… c’est elle… il est sûr. Il court tout
droit au chemin d’où vient la voix, mais il rencontre le précipice – et ici il
ne peut ni courir ni descendre dans la vallée. Il reste immobile et il jette
son regard dans l’abîme noir. Et il comprend que c’est la fille de la forêt qui
l’appelle. En se signant et en regardant à l’entour il retourne vers la
bergerie.
C’est le temps de préparer la
bouillie de la montagne – koulich. Dans la marmite où l’eau bout il
verse la farine et il la coupe en forme de croix, et une vapeur aromatique se
mélange bientôt avec l’odeur de la fumée. Le chef s’étire… le jour se lève.
Mais qui l’appelait ? Et si c’était Maritchka ?
Il a envie de regarder encore
avec la lumière du jour. Il monte au pâturage. Les rosées froides tombent sur
ses chaussures légères, le ciel rougit, et les astres deviennent pâles. Ivan
monte sur la montagne et soudainement il est glacé. Où est-il ? Que lui
arrive-t-il ? Où sont les montagnes ? Les eaux inondent la polonyna,
elles inondent les montagnes, et la prairie de la haute montagne flotte en
solitude dans une mer immense. Le vent
souffle du côté de la Montagne Noire – Tchornogora, les grandes eaux s’agitent doucement, et on sent que le soleil
encore invisible grandit dans la profondeur, et d’un coup son sommet gris et
mouillé sort de la mer. Le froid souffle encore plus fort, les lames d’eau
deviennent plus hautes et les cimes sortent une par une de l’écume blanche. Il
lui semble que le monde est né à nouveau. Les eaux coulent des sommets et
maintenant elles sont déjà sous ses pieds, le soleil a étendu sur le ciel sa
couronne et bientôt il montrera son visage, mais la voix triste de la trembita
sort de la bergerie et réveille la pairie.
***
Ivan passa ainsi l’été sur les
pâturages de la haute montagne jusqu’à ce qu’elle devînt vide. Le bétail
descendit dans les vallées et les paysans le reprirent, les trompettes – trembitas
finirent leurs chansons et le vent d’automne commença sur les herbes ses
lamentations comme s’il pleurait pour un mort.
Seul le chef reste avec le berger
des chèvres. Ils doivent attendre que le feu s’éteigne – ce feu de polonyna
qui naît tout seul de lui-même comme un dieu, et qui doit s’éteindre lui-même.
Et quand ils sont partis le fantôme seul vient sur la montagne triste et il
cherche dans la bergerie, sous l’abri – y a-t-il quelque chose pour lui ?
***
Ivan se dépêchait de descendre en
hâte dans la vallée, car il n’avait pas trouvé Maritchka en vie. Un jour avant
quand elle traversait à gué les eaux de Tcheremoch l’eau l’avait prise. Une
inondation inattendue avait rompu les bords, les vagues folles avaient renversé
Maritchka, et elles la jetèrent sur les cataractes et le torrent la descendit à
travers les roches dans la vallée. La rivière portait Maritchka, et les gens
regardaient comment les cataractes la tournaient, ils entendaient les cris et
les supplications mais ils ne pouvaient pas la sauver.
Ivan n’en croyait rien. Ce
devaient être les blagues des
Gouteniuk ! Ils ont su pour leur amour, et ils ont caché Maritchka.
Mais quand il entendit la même
rengaine de tous les côtés, il décida de chercher le corps. Il avait peut-être
été poussé vers les bords, et les gens devraient bien le trouver quelque part.
Il longeait la rivière plein de colère brûlante contre ce bruit éternel, contre
cette fureur bouillonnante.
Enfin il trouva le corps dans un
village. Les gens l’avaient mis sur le sable, mais Ivan n’a pas reconnu Maritchka
dans ce corps. Ce n’est pas elle mais
une espèce de sac mouillé, une
masse bleue et sanglante, broyée par les pierres de la rivière comme par une
meule…
Un chagrin immense torturait le
cœur d’Ivan. Il avait envie de se jeter dans les abimes : « Tiens,
dévore-moi ! ». Plus tard la douleur qui lui serrait le cœur le
chassa dans la montagne loin de la rivière. Il bouchait ses oreilles pour ne
pas entendre le bruit-traître qui avait reçu le dernier souffle de sa
Maritchka. Il erra dans la forêt parmi les roches et les abattis – comme un
ours qui lèche ses plaies, et la faim ne pouvait le rabattre vers le village.
Il trouvait les mûres sauvages, les airelles rouges, il buvait l’eau des
torrents – il s’en nourrissait. Et puis il
disparut pour de bon. Les gens pensaient qu’il était mort de chagrin, et
les filles composaient des chansons sur leurs amours et sur leur mort, et ces
chansons voyageaient sur toutes les montagnes. Pendant six ans il ne donna
aucun signe de vie, puis il apparut soudain la septième année. Il était noir et
maigre, il avait beaucoup vieilli, mais il était calme. Il raconta qu’il était
allé travailler comme berger du côté hongrois. Il resta dans cet état encore un
an et puis il se maria. Il fallait mener la vie de paysan.
Ivan se sentit content quand les
coups de feu furent finis, et quand les chants des noces se turent, et quand sa
femme amena chez lui les brebis et les vaches. Sa femme Palagna était d’une
famille riche, c’était une fille orgueilleuse et forte avec une grosse voix et
un cou de bœuf. Mais elle aimait les vêtements luxueux, et beaucoup d’argent
était dépensé pour les châles de soie et les bijoux chers, mais c’est une autre
histoire ! Il ne se sentait pas triste en regardant ses brebis qui
bêlaient dans les bergeries, son beau troupeau, et ses vaches qui sonnaient sur
les pâturages de la forêt.
Maintenant il avait ses
préoccupations. Il n’était pas âpre au gain – un homme houtsoulien ne vit pas
pour ça, il vit uniquement pour son travail et son bétail –ils suffisent pour remplir son cœur de joie. Les
bêtes étaient pour lui comme un bébé
pour une mère. Tout le temps ses pensées étaient occupées par les soucis
du foin, par le bien-être du bétail – pour qu’il soit sain et sauf, pour que
personne ne l’envoûte, que les brebis et les chèvres chevrettent sans peur, et
que les vaches vivent heureuses. Le danger était partout, et il devait bien
protéger le bétail des serpents, des bêtes sauvages et des sorcières, qui
utilisaient tous les moyens pour faire du mal au bétail et pour vider les
vaches. Il devait savoir enfumer, faire de la sorcellerie, ramasser les herbes
fortes et connaître des formules magiques. Palagna l’aidait. C’était une bonne
ménagère, et il partageait avec elle ses soucis éternels.
- Quels voisins le Dieu nous a
envoyés ! – se plaignait-elle à son mari. – Hier Khima est venue à
l’entrée, elle regardait nos agneaux et disait en levant ses bras au
ciel : « Oh ! Qu’est-ce qu’ils sont beaux ! ». – Tu ne
me tromperas pas, -c’est ce que j’ai pensé, et dès qu’elle a eu franchi ce
seuil, deux agneaux se sont tournés et ils ne sont plus… Quelle sorcière…
- Et moi – je marche la nuit
devant sa maison, - raconte Ivan, - Je regarde et je vois une chose ronde qui
se tourne – comme un sac. Et elle luit comme une étoile. Je regarde, et cette
chose traverse le pâturage et les roches et va directement dans la porte de
Khyma… Que Dieu nous protège !... Si je pouvais comprendre à temps ce qui
se passe, je devrais enlever mon pantalon et essayer d’attraper la sorcière
avec….
De l’autre côté de la montagne
ils avaient comme voisin Youra. Les gens disaient qu’il était comme un dieu.
Oui, il ressemblait à un dieu – il savait beaucoup de choses et il était fort
ce maître de grêle, ce sorcier – molfar. Il tenait en ses mains les
forces terrestres et célestes, la mort et la vie, la santé du bétail et de
l’homme, il faisait peur aux gens, mais tout le monde avait besoin de lui.
De temps en temps Ivan demandait
son aide, mais chaque fois quand il rencontrait le regard noir et brulant du molfar
il crachait en cachette et disait : « Que le sel te tombe dans
les yeux ! ».
Mais les pires ennuis venaient de
Khyma. Cette vieille femme flatteuse toujours souriante se transformait la nuit
en chien blanc et elle cherchait quelque chose derrière les clôtures des
voisins. Ivan lançait souvent sur elle sa hache ou sa fourche et comme ça il la
chassait.
Une vache bigarrée devint maigre
et ne donna plus de lait. Palagna savait qui était coupable. Elle regardait,
prononçait les formules magiques, et elle allait voir ses vaches plusieurs fois
le soir et même la nuit. Une fois elle poussa un cri si fort qu’Ivan vint en
courant dans la bergerie pour chasser un gros crapaud qui voulait y entrer.
Mais ce crapaud disparut soudain et ils
entendirent la voix de Khyma…
- Bonsoir à vous mes beaux
voisins… hé….hé….
Quelle femme sans honte !
Qu'est-ce qu'elle n'a pas fait
cette sorcière! Elle se transformait dans un morceau de toile qui se détachait
en blanc devant la forêt, elle rampait comme une couleuvre ou roulait sur les
collines, tel un peloton transparent. Enfin elle cachait la lune pour faire
l’obscurité quand elle allait voir le bétail des voisins. Plusieurs gens
juraient qu’ils l’avaient vue traire le prunellier – elle en enfonçait quatre
fiches – comme quatre trayons – et de cette manière elle remplissait un seau
plein de lait.
Ivan n’avait que des soins de
ménage ! Et pas une minute pour se reposer. Son ménage demandait un
travail éternel, et la vie de son bétail était tellement liée avec sa propre
vie, que cette vie chassait toute les autres pensées. Mais parfois – contre
toute attente – quand il regardait les prairies vertes où le foin qui se
reposait dans les meules, ou qu’il voyait
la profondeur de la forêt rêveuse –, une voix oubliée venait de là-bas vers
lui :
Mon chéri, souviens-toi de moi
Deux fois par jour,
Et moi – je me souviendrai de toi
Sept fois par heure.
Alors il quittait son travail et
disparaissait.
Palagna, comme une femme
orgueilleuse qui était habituée à travailler six jours par semaine et se
reposait uniquement les jours des fêtes en s’habillant avec toute la pompe,
reprochait à son mari avec dépit ses caprices. Mais il se mettait en
colère :
- Tais-toi. Occupe-toi de tes
affaires et laisse-moi tranquille...
Il était furieux contre
lui-même : « Pourquoi tout cela ? » - et il revenait vers
son bétail avec un air coupable.
Il amenait aux bêtes du pain ou
un morceau de sel. Avec un cri de confiance sa Bilania ou sa Goloubania
s’étirait vers lui, et la vache tirait la langue rouge et chaude et elle
léchait les mains avec le sel. Ses yeux noirs et brillants le regardaient avec
amitié et l’odeur chaude du pis plein de
lait et les odeurs de la vacherie lui redonnaient la tranquillité perdue et
l’équilibre.
Une mer de brebis rondes et blanches
le couvrait dans la bergerie. Ils connaissaient leur maître ces petits moutons
et ces brebis qui se frottaient contre ses jambes avec un bêlement plein de
joie. Il glissait sa main dans la laine ou il prenait dans ses bras un agneau
de la même manière qu’un père prenait son bébé – et alors l’esprit de la haute
montagne soufflait sur lui et l’appelait à partir dans la montagne.
C’était la joie d’Ivan.
Avait-il aimé Palagna ?
Cette idée n’était jamais venue à l’esprit. Il était maître de sa maison, elle
en était la maîtresse, et même s’ils n’avaient pas d’enfant ils avaient leur
bétail – que peut-on demander de plus ? Palagna dans cette prospérité
familiale était bien en chair, elle devint ronde et rouge, elle fumait la pipe
comme la mère d’Ivan, elle portait les châles chers en soie, et sur son cou de
bœuf elle portait un tas de colliers à faire mourir d’envie toutes les femmes.
Ensemble elle et lui allaient en ville et à la fête de la paroisse. Palagna
sellait elle-même son cheval et elle mettait sa chaussure rouge à l’étrier avec
un tel orgueil que l’on pouvait penser que toutes les montagnes lui
appartenaient - à elle seule. Beaucoup de gens et des familles de parents
venaient aux fêtes des paroisses, - la bière moussait, la vodka coulait, les
nouvelles différentes venaient des montagnes éloignées, Ivan embrassait les
jeunes femmes, des hommes étrangers embrassaient Palagna – pourquoi
s’étonner ? – et tout contents de la fête ils revenaient ensuite à leurs
soucis quotidiens.
- Gloire à Jésus ! Comment
vont ta femme et ton bétail ?
- Tout va bien ! Et
vous ?...
Ils se mettaient à une table bien ornée, ils gardaient leurs habits
lourds de peaux des moutons, et tous ensembles ils mangeaient la bouillie
fraiche et un petit-lait vieux et fort et si âcre que la langue en perdait sa
peau.
Et la vie se passait ainsi.
Les jours de la semaine pour
travailler, et la fête – pour faire de la sorcellerie.
A la veille de Noël une
humeur étrange saisissait Ivan. Comme
s’il était rempli d’un sentiment mystérieux et sacré – il faisait tout avec un
air grave, comme un prêtre qui célèbre l’office divin. Pour Palagna il faisait
le feu vivant pour préparer le dîner, il mettait du foin sur et sous la table,
et plein de foi il meuglait comme une vache, bêlait comme une brebis et
hennissait comme un cheval – pour que le bétail se multiplie. Il versait
l’encens dans la maison et dans la bergerie pour chasser les bêtes sauvages et
les sorcières, et quand Palagna toute rouge de travail et des courses dans la
fumée lui annonçait que les douze plats étaient prêts, il amenait le dîner
sacré au bétail avant d’aller à table. Les animaux étaient les premiers à
goûter les goloubtsy (les
feuilles de chou farcies), les prunes, les fèves et les autres plats
maigres préparés soigneusement pour lui
par Palagna. Mais ce n’était pas tout. Il fallait encore appeler à table toutes
les forces hostiles devant lesquelles il avait été prudent toute sa vie. Ivan
prenait dans une main le plat et dans l’autre la hache, et il sortait dans la
cour. Les montagnes vertes habillées en blanc écoutaient attentivement comment
sonnait dans le ciel l’or des étoiles, le froid scintillait avec son épée
d’argent et coupait l’air, et Ivan tendait sa main vers ce désert dépeuplé et
congelé par le froid et il appelait à sa table tous les nécromanciens, tous
les molfars et tous les planetniks,
les loups de la forêt et les ours. Il priait la tempête d’être gentille et de
venir chez lui au repas abondant avec les boissons fortes, à ce dîner sacré –
mais les forces hostiles n’étaient pas gentilles et elles ne venaient pas, même
si Ivan les appelait trois fois. Et ensuite il les conjurait de ne pas venir –
jamais, et après il pouvait respirer avec soulagement.
Palagna l’attendait à la maison.
Le feu fatigué s’étalait dans le poêle en somnolant dans les braises, les plats
se reposaient sur le foin, l’esprit paisible de Noël sortait de tous les coins,
la faim les attirait vers la table mais ils n’osaient pas encore s’asseoir.
Palagna jetait les regards vers son mari – et en accord ils s’agenouillaient en
priant Dieu pour qu’il donne sa permission aux âmes inconnues, aux âmes
perdues, abattues par les arbres, écrasées en route, noyées dans les eaux de venir à cette table. Personne ne se souvient
d’elles ni le matin, ni le soir ni en route, et ces pauvres âmes souffrent dans
l’enfer en attendant la sainte veille de Noël…
Et quand ils priaient de cette
manière, Ivan était convaincu que derrière lui pleurait Maritchka inclinée vers
lui et que les âmes de ceux qui sont morts subitement s’asseyaient
invisiblement sur les bancs.
- Souffle avant de
t’asseoir ! – lui ordonnait Palagna.
Mais il le savait mieux qu’elle.
Il soufflait soigneusement sur la surface du banc pour ne pas écraser les âmes,
et ils commençaient le repas.
Le jour de Sainte Mélanie (à
la veille du Nouvel An) Dieu en personne visitait le bétail dans la
bergerie. Les étoiles claires scintillaient dans le ciel haut, dehors il
faisait un froid rigoureux, et Dieu avec ses cheveux blancs marchait pieds nus
sur la neige duveteuse et ouvrait doucement la porte de la bergerie.
Réveillé la nuit, Ivan écoutait
et il semblait entendre une voix tendre demander au bétail : « As-tu
bien mangé, as-tu bien bu ? Est-ce que ton maître te garde
bien ? ». Les brebis bêlaient toutes gaies, les vaches poussaient des
cris joyeux – leur maître les gardait bien, il leur donnait à manger et à
boire, et aujourd’hui il les avait même épouillées. Et maintenant le seigneur
Dieu lui accordera un bon accroît.
Et en vérité Dieu lui accordait
l’accroît. Les brebis faisaient les petits en toute paix, et les vaches lui
donnaient de beaux veaux.
Palagna était toujours occupée à
sa propre sorcellerie. Elle mettait le feu entre les bêtes : qu’ils soient
beaux et splendides comme la lumière de Dieu, et qu’aucun être méchant ne se
rapproche d’eux ! Elle faisait tout ce qu’elle savait pour que le bétail
fût tranquille comme une racine dans la terre, tendre comme l’eau dans le
ruisseau. Et elle lui parlait d’une voix douce :
- Tu dois me nourrir, moi et mon
maître, et moi – je vais te respecter pour que tu dormes sans souci, pour que
tu ne cries pas, pour que la sorcière ne sache pas où tu passes la nuit, et
pour que personne ne t’envoûte.
De cette manière la vie du bétail
et la vie des hommes se passent ensemble et confluent comme les ruisseaux
de la montagne qui se réunissent dans un torrent.
***
Demain c’est une grande fête.
Saint George (23 avril) prend chez Saint Dimitri les clefs de l’univers
pour régner sur la terre. Les grandes eaux sur lesquelles la terre flotte vont
l’amener plus haut vers le ciel. Saint George ornera les forêts et les champs,
la brebis s’habillera de la nouvelle laine comme la terre qui se couvre
d’herbes l’été, et les prairies se reposeront du bétail et elles seront
envahies par les bonnes herbes. Demain c’est le printemps, le jour de la joie
et du soleil, mais déjà aujourd’hui les montagnes fleurissent des lumières et
la fumée bleuâtre enveloppe les sapins dans la voile transparente. Et quand le
soleil descend, les feux ont perdu leurs fleurs, les fumées sont parties dans
le ciel et le bétail a répondu avec un cri de joie – les bêtes ont franchi le
feu pour devenir fortes comme ce feu d’été et pour se multiplier comme la
cendre se multiplie dans le feu.
Les gens sont allés se coucher
tard à la veille de la Saint George, bien qu’ils doivent se lever tôt.
Palagna fut réveillée dès que le
jour se montra. « Et s’il était trop tôt ? » - pensa-t-elle à
haute voix, mais tout de suite elle se souvint que c’était la fête et qu’elle
devait aller dans la prairie. Elle enleva la couverture chaude et se mit
debout. Ivan dormait encore, le four bâillait dans un coin en montrant toute sa
bouche noire, et un grillon y stridulait une chanson triste. Palagna déboutonna
sa chemise et l’enleva, dans la maison, elle resta nue un instant, et en
regardant Ivan derrière elle, et elle se dirigea vers la sortie. La porte cria
et le froid du matin embrassa son corps. Les montagnes étaient encore
endormies. Les forêts de sapins dormaient aussi – sévères comme des moines, et
pendant la nuit les prairies et les sommets sont devenues gris, disparaissant
dans le brouillard. La brume froide montait de la vallée et tendait ses pattes
blanches et poilues vers les sapins noirs, et la rivière Tcheremoch racontait
ses rêves sous le ciel encore blanc.
Palagna marchait sur les herbes
mouillées et tremblait doucement dans la fraîcheur matinale. Elle était sûre
que personne ne la voyait, et même si quelqu’un la voyait ? Certes,
c’était dommage de perdre ainsi la sorcellerie. Elle ne pensait qu’à ça. Le
jour de l’Annonciation elle avait enterré dans le champ du sel, un petit pain
et un collier, et maintenant il fallait aller chercher tout cela. Peu à peu
elle s’habitua à la fraicheur. Son corps fort qui n’avait pas connu la maternité
allait libre et fier dans les herbes jeunes de la prairie, il était si rose et
si frais – comme un nuage doré et comblé par une pluie chaude de printemps.
Enfin elle s’arrêta sous un hêtre. Mais
avant de déterrer ses affaires elle leva ses bras et s’étira vers les branches,
et mêmes ses os craquèrent. Mais soudain elle sentit qu’elle perdait sa force.
Elle se sentit mal. Elle baissa ses bras affaiblis et regarda devant elle et
tout d’un coup elle plongea dans l’abyme noir plein de feux qui ne voulaient
pas la lâcher.
Yura le sorcier – molfar se mit de l’autre côté de la clôture.
Elle voulut crier – et elle ne
put pas. Elle voulut cacher ses seins avec ses mains – mais elle n’eut pas la
force de lever ses bras. Elle essaya de partir, mais elle se sentit comme prise
par des racines. Elle resta debout, sans forces, presque évanouie, et elle
continuait de regarder avec obstination les deux charbons ardents qui buvaient
sa force.
Enfin une sorte de furie se
réveilla dans son esprit. Elle perdit toute sa sorcellerie ! Palagna fit
un effort pour reprendre cette furie et elle dit toute furieuse :
- Pourquoi tu écarquilles les
yeux ? Tu n’as jamais rien vu ?
Il ne détachait pas d’elle ses
yeux magnétiques et il dit en souriant :
- Je vous jure que jamais je n’ai
vu une beauté pareille.
Une de ses jambes était de ce
côté de la clôture.
Elle voyait bien comment ces deux
charbons ardents allaient vers elle, ils
réduisaient en cendres sa volonté, et elle demeurait sans bouger dans
une attente douce et effrayante.
Il était déjà près d’elle, elle
voyait les coutures brodées de sa veste … et les dents brillantes dans sa
bouche… et son bras tendu vers elle. La chaleur de son corps soufflait sur
elle, et elle restait toujours immobile.
Ce fut seulement quand les doigts
de fer lui serrèrent le bras en l’attirant vers lui qu’elle s’échappa et put
courir vers sa maison.
Molfar gonflait ses narines et restait
immobile en regardant le corps blanc de Palagna qui serpentait dans les herbes
comme les vagues de Tcheremoch.
Plus tard quand Palagna eut
disparu, il franchit la clôture et
recommença à disperser sur le champ la cendre du feu d’hier pour que les
vaches et les brebis qui viendraient pâturer ici se multiplient et que chaque
brebis donne deux petits agneaux…
Palagna retourna à la maison
toute furieuse. Au moins Ivan n’avait rien vu. Quel voisin ! Qu’il
disparaisse avec la fumée ! Il a bien choisi son moment pour
l’attraper ! Que le diable l’emporte ! Eh oui, elle avait perdu sa
magie… Elle se demandait s’il fallait parler à Ivan de l’accident avec Youra ou
bien laisser son mari tranquille. Il ne manquait plus que tout cela provoque
une bagarre ou une dispute, mais il ne faut pas commencer avec un sorcier... Il
fallait le gifler et c’était tout… Mais Palagna savait qu’elle n’était pas
capable de lever même un bras contre lui. Une seule pensée de lui donnait à
Palagna une sensation d’évanouissement, une sorte d’épuisement dans tous ses
membres. Elle sentait qu’une toile d’araignée de ses yeux noirs, de ses dents
brillantes et de sa bouche avide enveloppait son corps. Et quoi qu’elle fît ce
jour-ci, le regard du molfar l’attachait.
Deux semaines avaient passé déjà, et Palagna ne parlait pas à Ivan de sa
rencontre avec Youra. Elle observait son mari. Elle sentait en lui quelque
chose de lourd, une tristesse qui l’affaiblissait et lui rongeait le cœur, des
yeux fatigués avec un regard déjà vieilli et comme lacustre. Il avait
considérablement maigri et il était devenu indifférent. Non, Youra était meilleur. Si elle voulait un
amant elle prendrait Youra ! Mais Palagna était une femme avec de
l’orgueil, elle ne voulait pas céder à la force. De plus elle était furieuse
contre le sorcier.
Ils se rencontrèrent une fois au
bord du torrent. Pendant un instant Palagna crut qu’elle était nue et que la
toile fine de l’araignée l’enveloppait. Comme si elle était dans une transe,
elle entendit :
- Avez-vous bien dormi, ma petite
âme Palagna ?
Elle avait un mot sur le bout de
la langue : « Très bien, et vous ? ». Mais elle se retint,
fit la moue, leva sa tête et passa devant lui avec tout son orgueil – comme
s’il n’avait jamais existé.
- Ca va la santé ? –
entendit-elle dans son dos.
Mais elle ne tourna pas la tête.
« Maintenant prépare-toi à
des complications », - se dit-elle à elle-même avec peur.
En effet, dès qu’elle rentra à la
maison, Ivan lui raconta la nouvelle – une brebis avait crevé. Mais comme par
une sorte de magie elle ne regrettait pas la brebis. Au contraire elle se mit
en colère parce qu’Ivan se consumait de chagrin à cause de la bête.
Youra ne la croisait plus sur son
chemin. Mais les pensées de Palagna se tournaient plus souvent vers lui. Elle
écoutait volontiers et avec plaisir les histoires sur sa force, et elle
s’étonna des pouvoirs de ce Youra impétueux qui la voyait comme la plus
belle ! C’était un homme puissant et fort, il savait tout. Au cause de sa
parole forte la bête crevait tout de suite, un homme noircissait et se
desséchait comme la fumée, il pouvait leur envoyer la vie et la mort, disperser
un nuage, repousser la grêle, il pouvait
d’un seul œil réduire en cendres ses ennemis et allumer l’amour dans le
cœur d’une femme ! C’était un dieu terrestre ce Youra qui voulait Palagna,
ce sorcier qui tendait ses bras plein de forces surnaturelles vers elle.
De temps en temps son cœur se
fermait pour ses vaches et pour son mari, ils pâlissaient dans son âme comme
disparaît le brouillard qui se pose sur le sommet d’un sapin. Toute triste
alors, elle allait dans le champ sous un hêtre et là-bas elle sentait sur sa
poitrine le souffle chaud de Youra et ses doigts de fer. Il aurait pu avoir une
amante s’il était venu ce jour-là.
Mais il ne venait pas…
La journée était chaude. Le
sommet d’Igrets fumait, la terre poussait ses vapeurs, les nuages venaient sans
cesse de Tchornogora et versaient les pluies et le soleil les éclairait de
côté. Le temps était si étouffant que Palagna pour rien au monde ne voulait
aller sur le sommet de la colline, mais elle avait eu un rêve, ce qui était
mauvais pour le bétail. Elle voulait aller voir ses vaches dans la forêt. Les
montagnes autour d’elle fumaient dans l’humidité, comme si les torrents avaient
commencé de bouillir et s’évaporer. Tcheremoch bruissait en bas. Le lit de
pierre était trop dur pour lui et il sautait d’une roche à l’autre. Mais à
peine Palagna était-elle montée sur la colline qu’un très vent fort de
Tchornogora agita son aile géante et troubla les arbres. « Si au moins
l’orage ne venait pas ! » - pensa-t-elle et elle se tourna vers le
vent. C’était bien cela ! Un gros nuage bleu et blanc bouillonnait là-bas.
Il lui semblait que la Montagne Noire même se levait dans le ciel, prête à
descendre sur terre pour tout écraser. Le vent courait devant ce nuage et
écartait les sapins, et les montagnes et les vallées devenaient noires d’un
coup comme après un incendie. Elle ne pensa plus avancer. Palagna se cacha sous
la tente d’un sapin. Le sapin cria. Le tonnerre venait de loin, doucement, comme une vague, les ombres couraient vite
sur les montagnes en enlevant les couleurs, et les grands sapins solitaires se
pliaient en deux sur les cimes lointaines. « Si au moins la grêle ne
tombait pas ! » - pensait Palagna effrayée en s’abritant sous sa
veste.
Mais au-dessus de sa tête ça en
faisait du bruit ! Là-bas sur la Tchornogora les nécromanciens taillaient
la glace dans les lacs congelés, et les âmes de ceux qui étaient suppliciés
sans pitié ramassaient cette glace dans les sacs et galopaient avec eux sur les
nuages pour verser tout sur la terre. « Les prairies et le foin sont perdus,
la grêle les couvrira et le bétail affamé va pleurer », - pensait-elle
avec amertume. Mais à peine avait-elle pensé – qu’on entendit un coup de
tonnerre. Les montagnes chancelèrent, les sapins solitaires tombèrent par
terre, la terre même se leva et tout se mit à tourner dans le tourbillon.
Palagna avait quelques secondes pour s’accrocher à un tronc d’arbre, et comme à
travers le brouillard elle vit un homme grimper sur la montagne. Il luttait
contre le vent et écartait ses jambes comme une écrevisse, il s’accrochait aux
pierres et grimpait sans s’arrêter. Il fut proche d’elle, se plia, il courut –
enfin se dressa sur le sommet. Palagna avait reconnu Youra.
- Il vient pour moi, c’est sûr,…
- redoutait-elle, mais il fallait croire que Youra ne la verrait pas.
Il se dressa devant un nuage, une
jambe en avant et le bras croisés sur la poitrine. Il renversa son visage
devenu pâle et perça le nuage de son œil sévère. Il resta comme cela longtemps,
une minute, et le nuage s’approcha de lui. Et brusquement il jeta sa veste par
terre. Le vent l’emporta tout de suite dans la vallée et souleva les cheveux
longs de la tête de Youra. Et puis Youra leva vers le ciel le bâton qu’il
gardait dans sa main et il cria dans le bouillonnement bleu :
- Arrête-toi ! Je te défends
de passer !...
Le nuage se mit à réfléchir un
peu et ensuite en réponse il jeta une flèche de feu.
- Oy ! – Palagna se couvrit
de son bras quand les montagnes s’écroulèrent.
Mais Youra était ferme sur ses
pieds, et ses cheveux se tordaient comme des vipères dans un nid.
- Ah, si tu veux comme ça !
– cria Youra au nuage. – Donc je dois te lancer un charme. Je vous adjure, vous
- les tonnerres et les petits tonnerres,
les nuages et les enfants des nuages, je te disperse la fortune à gauche
– sur les bois et dans les eaux… Va et cours comme le vent dans le monde…
Désintègre-toi et tombe, tu n’as pas de pouvoir ici…
Mais le nuage cligna de son œil
gauche avec mépris et il commença à tourner vers la droite sur les prairies.
- Malheur ! – Palagna se
serra les mains. – Il tuera le foin…
Mais Youra ne voulait pas céder.
Il devenait encore plus pâle, ses yeux étaient encore plus sombres. Le nuage
allait à droite – lui aussi, le nuage allait à gauche – lui aussi. Il le
poursuivait et luttait contre le vent, il agitait ses bras, et il le menaçait
avec son bâton. Il se démenait sur la montagne comme un beau diable pour faire
tourner le nuage, il le combattait et il lui résistait. Encore ici, de ce côté…
Il sentait la force dans sa poitrine, il versait les tonnerres de ses yeux, il
levait ses bras et adjurait. Le vent enleva sa veste et le frappa dans ses
seins, le nuage poussa les rugissements, cracha le tonnerre, versa la pluie
dans les yeux et trembla au-dessus de la tête, prêt à tomber, et le molfar
tout en sueur en reprenant son haleine se démena sur le sommet de la
montagne ; et il eut peur de perdre ses dernières forces. Il sentit qu’il
faiblissait, il n’avait plus rien dans sa poitrine : que le vent déchire
sa voix, que la pluie inonde ses yeux, que le nuage triomphe ! Alors, en
un dernier effort il souleva son bâton vers le ciel :
- Arrête-toi !
Subitement le nuage s’arrêta. Il
montra un côté étonné, il se cabra comme un cheval et gargouilla d’une rage
intérieure et d’une impuissance désespérée. Il supplia :
- Lâche-moi ! Où puis-je
aller ?
- Je ne te lâcherai pas !
- Lâche-nous, ou nous
mourrons ! – priaient les âmes d’une voix plaintive, courbées sous le
poids des sacs pleins de grêle.
- Ah ! Maintenant tu
supplies ! Je t’adjure : va
dans l’obscurité, dans l’abîme, là où on n’entend pas le hennissement des
chevaux ni le mugissement des vaches, ni le bêlement des brebis, là où ne
viennent pas les corbeaux, là où on n’entend pas la voix chrétienne… C’est là
où je te permets d’aller…
Et d’une manière extraordinaire le
nuage obéit. Il tourna humblement vers la gauche et défit les sacs au-dessus de
la rivière et versa la grosse grêle sur la pente sablonneuse. Un rideau blanc
cacha les montagnes et dans la vallée profonde on entendit quelque chose
gargouiller, se rompre et bruire. Youra tomba par terre pour reprendre son
souffle.
Quand le soleil déchira le nuage
et que les herbes mouillées sourirent, Youra vit comme dans un rêve que Palagna
courait vers lui. Elle rayonnait de joie comme le soleil, et elle se pencha
vers lui avec un air préoccupé :
- Oh, Yourtchikou, tu n’as
rien ?
- Ah, ma petite Palagna, tout va
bien… J’ai retourné la tempête…
Et il tendit ses bras vers elle…
C’est ainsi que Palagna devint
l’amante de Youra…
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